Imaginez-vous jeudi prochain, assis devant votre table de Thanksgiving, une dinde rachitique au centre et le portefeuille qui grimace autant que les invités. Aux États-Unis, ce scénario n’a rien d’une fiction angoissante : il devient la réalité de millions de foyers alors que les prix des aliments s’envolent à quelques jours des fêtes.
Thanksgiving sous tension : quand le repas traditionnel devient un casse-tête budgétaire
Chaque année, le quatrième jeudi de novembre est sacré. C’est le moment où l’on remercie, où l’on partage, où l’on mange… beaucoup. Pourtant, en cette fin novembre, l’ambiance est loin d’être sereine dans les cuisines américaines. Les étiquettes des supermarchés font peur et les agriculteurs tirent la sonnette d’alarme.
Les chiffres parlent d’eux-mêmes : les prix alimentaires ont grimpé de 2,7 % sur un an en septembre. Pour beaucoup de ménages déjà fragilisés, les produits de base sont devenus la catégorie la plus difficile à assumer financièrement. Et ce n’est pas prêt de s’arranger.
La dinde, star des fêtes… et victime collatérale
Impossible de parler Thanksgiving sans évoquer la dinde. Symbole absolu du repas, elle risque cette année de faire mal au porte-monnaie. Sur le marché de gros, son prix a bondi de 40 % en un an. Maladies du cheptel, difficultés d’approvisionnement… les raisons sont multiples, mais le résultat est le même : moins de volaille à partager.
Les grandes surfaces tentent bien des promotions agressives pour attirer les clients, mais même avec des remises, le budget reste sous pression. Certaines familles envisagent déjà de réduire les portions ou de remplacer la traditionnelle volaille par des alternatives moins coûteuses.
« On voit des clients qui comptent chaque dollar. Certains repartent avec la moitié de ce qu’ils prenaient habituellement. »
Un employé de supermarché dans l’Ohio
Droits de douane : le choc que personne n’avait vu venir sur les assiettes
Si la Maison-Blanche assure que l’économie « va pour le mieux » et que « les prix baissent fortement », la réalité sur le terrain est bien différente. Agriculteurs et entrepreneurs pointent du doigt une mesure phare : les droits de douane renforcés.
Graines, engrais, produits chimiques, machines agricoles… presque tous les intrants nécessaires à la production alimentaire sont touchés. Résultat : les coûts explosent et une partie se répercute inévitablement sur le consommateur final.
Une agricultrice de Caroline du Nord le résume sans détour :
« À cause de la hausse de nos coûts, principalement due aux droits de douane, nous avons été obligés d’augmenter le prix de nos légumes. »
Mary Carroll Dodd, productrice en Caroline du Nord
Dans le Kansas, le constat est identique. Les prix des intrants étaient déjà à des niveaux records avant même l’arrivée des nouvelles surtaxes. Aujourd’hui, ils atteignent des sommets historiques.
Pénurie de main-d’œuvre : l’autre bombe à retardement
Autre facteur explosif : le manque cruel de travailleurs agricoles. Les légumes frais voient leurs prix s’envoler, en partie parce que les salaires grimpent rapidement pour attirer les rares candidats. Et là encore, la politique migratoire est montrée du doigt.
Beaucoup d’observateurs estiment que les restrictions plus strictes ont aggravé la pénurie. Moins de bras pour récolter, c’est mécaniquement plus de coûts… et des étals moins garnis.
Les légumes les plus touchés cette année :
- Pommes de terre : +28 % en moyenne
- Carottes et oignons : +22 %
- Salades et légumes-feuilles : +19 %
- Haricots verts : +35 % dans certaines régions
Les défenseurs des droits de douane refusent la responsabilité
Pourtant, tous ne partagent pas cet avis. Certains soutiennent que les surtaxes ne sont pas les principales responsables de la flambée des prix. Ils avancent d’autres explications : sécheresse, réduction des troupeaux de bœuf, concentration du marché de la viande…
Ils affirment même que les importateurs et les industriels ont absorbé une grande partie du choc en réduisant leurs marges. Une version qui peine à convaincre les producteurs sur le terrain.
Car pendant ce temps, les petites entreprises trinquent aussi. Dans l’Utah, un fabricant de décorations de Noël raconte avoir perdu près d’un million de dollars à cause des taxes sur les importations chinoises. « On travaille presque pour payer les douanes », confie-t-il, amer.
Des aides en vue… mais pas celles que les agriculteurs veulent
Consciente des difficultés, surtout depuis la guerre commerciale avec la Chine, l’administration envisage de débloquer de nouvelles aides financières pour le secteur agricole. Une annonce est attendue dans les prochains jours.
Mais pour beaucoup d’agriculteurs, ce n’est pas la solution. Comme le souligne le président du syndicat du Kansas :
« Les agriculteurs ne veulent pas d’aide financière. Ils veulent pouvoir vivre de la vente de leurs produits. »
Nick Levendofsky
Subventions ou pas, le problème de fond reste entier : tant que les coûts de production continueront de grimper et que les marchés d’exportation resteront fermés ou réduits, la situation restera précaire.
Et demain ? Une hausse qui pourrait durer
Toutes ces tensions convergent vers une conclusion inquiétante : la hausse des prix alimentaires risque de se prolonger bien au-delà des fêtes. Les promotions actuelles masquent difficilement la tendance de fond.
Entre les aléas climatiques, les tensions commerciales internationales, la pénurie de main-d’œuvre et les coûts énergétiques qui restent élevés, tous les ingrédients sont réunis pour que l’alimentation reste chère… très chère.
Cette année, Thanksgiving ne sera pas seulement le moment de rendre grâce. Pour beaucoup d’Américains, ce sera aussi celui de compter, de choisir, parfois de renoncer. Le repas traditionnel, symbole d’abondance, devient paradoxalement le miroir des difficultés économiques que traverse le pays.
Et pendant que certains tenteront de maintenir la tradition coûte que coûte, d’autres réinventeront peut-être leurs menus. Moins de dinde, plus de légumineuses, des plats partagés entre voisins… Après tout, n’est-ce pas aussi cela, l’esprit de Thanksgiving ?
En résumé : droits de douane + pénurie de main-d’œuvre + maladies animales + coûts records des intrants = un repas de Thanksgiving historiquement cher pour des millions de familles américaines.
Une chose est sûre : cette année, la gratitude risque d’être teintée d’une pointe d’amertume autour de nombreuses tables. Et l’histoire n’est probablement pas terminée…









