Imaginez-vous enfermé des dizaines de mètres sous terre, dans l’obscurité totale, avec pour seule issue un boyau contrôlé par celui que vous considérez comme votre ennemi juré. C’est la réalité que vivent, en ce moment même, plusieurs dizaines – peut-être deux cents – combattants du Hamas coincés dans le vaste réseau souterrain sous Rafah.
Mercredi, pour la première fois publiquement, le mouvement islamiste palestinien a brisé le silence et lancé un appel pressant aux pays médiateurs : faire pression sur Israël pour autoriser l’évacuation de ces hommes bloqués depuis des semaines.
Une situation qui révèle la fragilité du cessez-le-feu
L’accord de cessez-le-feu conclu sous l’égide des États-Unis et entré en vigueur le 10 octobre prévoyait le retrait israélien au-delà d’une « ligne jaune » le long de la côte. Mais rien n’avait été clairement prévu pour les combattants pris au piège dans les zones déjà sous contrôle israélien, notamment sous Rafah.
Cette zone, stratégique car située à la frontière égypto-palestinienne, abrite l’un des plus denses réseaux de tunnels du Hamas. C’est là que, selon plusieurs sources, entre 100 et 200 hommes se retrouvent aujourd’hui isolés, sans possibilité de rejoindre le reste de la bande de Gaza.
Que s’est-il passé concrètement sous Rafah ?
L’armée israélienne affirme avoir tué plus d’une vingtaine de membres du Hamas qui tentaient de s’extirper des infrastructures souterraines la semaine dernière. Huit autres auraient été capturés vivants.
Ces opérations ont eu lieu dans une portion du réseau désormais située en territoire sous contrôle israélien. Pour les combattants restants, toute tentative de sortie expose à un risque mortel immédiat.
Les tunnels, construits sur des années, étaient initialement conçus comme des voies de ravitaillement, d’évasion ou de déplacement discret. Ils se retournent aujourd’hui contre ceux qui les ont creusés.
« Nous tenons Israël pleinement responsable de la vie de nos combattants et appelons les médiateurs à agir immédiatement pour que nos fils puissent rentrer chez eux »
Communiqué officiel du Hamas, mercredi
La position inflexible d’Israël
De son côté, le gouvernement israélien n’envisage aucune négociation sur ce point précis. Un porte-parole a rappelé la ligne officielle : aucun « passage sécurisé » ne sera accordé à des membres du Hamas.
Le Premier ministre Benjamin Netanyahu reste ferme sur l’objectif stratégique : démanteler complètement les capacités militaires du mouvement palestinien et imposer une démilitarisation totale de la bande de Gaza.
Autoriser la sortie de plusieurs dizaines, voire centaines de combattants armés serait perçu à Tel-Aviv comme une victoire symbolique inacceptable pour le Hamas et un risque sécuritaire majeur.
Les médiateurs pris dans l’étau
Le Qatar, l’Égypte et les États-Unis, qui ont piloté les négociations du cessez-le-feu, se retrouvent aujourd’hui face à un dilemme délicat.
Début novembre, l’envoyé spécial américain Steve Witkoff évoquait déjà publiquement ces « 200 combattants bloqués à Rafah » en les présentant comme un possible « test » de la bonne volonté des deux parties.
Deux semaines plus tard, la situation n’a toujours pas évolué. Le Hamas accuse désormais ouvertement Israël de violer les termes du cessez-le-feu en « traquant, liquidant et arrêtant » les combattants assiégés dans les tunnels.
Pourquoi cette crise était prévisible
L’accord d’octobre, signé dans l’urgence pour éviter une nouvelle escalade, comportait de nombreuses zones grises. Le sort des combattants pris dans les secteurs déjà conquis par l’armée israélienne n’avait jamais été abordé en détail.
Les négociateurs semblaient espérer que le problème se résoudrait de lui-même : soit par reddition discrète, soit par exfiltration progressive. Aucun des deux scénarios ne s’est produit.
Au contraire, plus le temps passe, plus la situation devient humainement intenable pour les hommes bloqués sous terre : manque d’eau potable, d’air, de nourriture, sans parler du stress psychologique permanent.
Les scénarios possibles à court terme
Plusieurs hypothèses circulent dans les cercles diplomatiques :
- Une reddition collective sous supervision internationale (peu probable vu le refus israélien)
- Une intervention discrète des médiateurs pour organiser une sortie nocturne surveillée
- Une opération militaire israélienne d’envergure pour « nettoyer » définitivement le secteur
- Une détérioration sanitaire qui forcerait la communauté internationale à agir
Aucune de ces options ne semble satisfaisante pour l’instant. Chaque jour qui passe augmente la pression sur toutes les parties.
Un précédent dangereux pour l’avenir
Cette crise des tunnels de Rafah pourrait créer un précédent lourd de conséquences. Si Israël obtient gain de cause et que les combattants meurent ou sont capturés jusqu’au dernier, le message envoyé au Hamas sera clair : aucune trêve ne protège ceux qui se retrouvent isolés en zone ennemie.
À l’inverse, si une sortie est finalement négociée, Israël craint que cela soit perçu comme une victoire du Hamas et encourage de nouvelles prises de risque à l’avenir.
Dans les deux cas, la confiance déjà fragile entre les parties risque d’en sortir durablement abîmée.
Que retenir de cette séquence ?
Ce qui se joue sous Rafah dépasse largement le sort de quelques dizaines ou centaines d’hommes. C’est la crédibilité même du cessez-le-feu qui est en jeu, ainsi que la capacité des médiateurs à imposer des solutions concrètes sur le terrain.
Pour l’instant, l’obscurité des tunnels reflète assez bien l’opacité des négociations en cours. Et tant que la lumière ne sera pas faite sur le sort de ces combattants bloqués, la paix restera suspendue à un fil, quelque part sous la terre de Gaza.
À suivre, évidemment, car chaque heure compte pour ces hommes dont on parle finalement assez peu, coincés entre la roche, l’ennemi et l’indifférence relative du monde extérieur.









