Dans les rues poussiéreuses de Port-au-Prince, une silhouette se détache, arme automatique en bandoulière, regard perçant sous une casquette. Cet homme, c’est Jimmy Chérizier, surnommé Barbecue, un nom qui résonne comme une menace dans un Haïti en proie au chaos. Ancien policier devenu chef de gang, il incarne à lui seul la crise sécuritaire, politique et humanitaire qui ébranle ce pays des Caraïbes. Comment un homme issu des forces de l’ordre a-t-il pu devenir le symbole d’une nation au bord du gouffre ?
De Policier à Chef de Gang : L’Ascension de Barbecue
À 48 ans, Jimmy Chérizier n’est pas un criminel ordinaire. Ancien membre de la police nationale haïtienne, il a troqué son uniforme pour une position de pouvoir à la tête de Viv Ansanm, une coalition de gangs qui domine aujourd’hui une grande partie de la capitale et au-delà. Cette alliance, réunissant les groupes autrefois rivaux G9 et G-Pèp, a transformé le paysage criminel haïtien en un réseau organisé, capable de défier l’État lui-même. Mais qui est vraiment cet homme qui se présente comme un révolutionnaire luttant pour une société meilleure ?
Son surnom, Barbecue, ne vient pas d’une passion pour la cuisine, mais d’une réputation de violence implacable, certains disent qu’il aurait incendié des maisons dans les bidonvilles. Pourtant, Chérizier rejette cette image. Dans une interview accordée en 2021, il déclarait :
Je ne suis pas un gangster, je ne serai jamais un gangster. Je me bats pour une autre société.
Cette dualité entre discours révolutionnaire et actes violents rend le personnage complexe, à la croisée du criminel et du justicier autoproclamé.
Viv Ansanm : Une Coalition Redoutable
En février 2024, la coalition Viv Ansanm, dont le nom signifie Vivre Ensemble en créole, a lancé une série d’attaques d’une ampleur sans précédent contre des infrastructures vitales de Port-au-Prince. Aéroports, prisons, commissariats : rien n’a été épargné. Ces assauts ont précipité la chute du Premier ministre Ariel Henry et l’instauration d’un Conseil présidentiel de transition, chargé de rétablir l’ordre. Mais loin de s’essouffler, les gangs ont continué à étendre leur emprise, s’emparant de nouveaux quartiers et communes.
Le 7 août 2025, alors que le Conseil changeait de président, Chérizier a tenté une nouvelle offensive audacieuse contre le quartier abritant les bureaux du Premier ministre et du Conseil. Dans une vidéo diffusée sur les réseaux sociaux, il exhortait la population à soutenir ses hommes :
Nous devons renverser ces voleurs qui dirigent le pays. Le peuple doit nous aider dans la bataille pour libérer Haïti.
Ces paroles, prononcées avec une assurance déconcertante, illustrent l’ambition de Chérizier : non pas seulement contrôler, mais renverser le système en place.
Une Crise Humanitaire sans Précédent
Les agissements de Viv Ansanm ont des conséquences dramatiques pour la population haïtienne. Des centaines de milliers de personnes ont été déplacées, fuyant les zones sous contrôle des gangs. Les violences, incluant des assassinats de policiers, de soldats et même d’officiers de la Mission multinationale d’appui à la sécurité (MMAS), ont exacerbé une crise humanitaire déjà critique. Haïti, l’un des pays les plus pauvres des Caraïbes, peine à répondre aux besoins de sa population, confrontée à la faim, à l’insécurité et à l’absence de services de base.
Pour mieux comprendre l’impact des gangs, voici un aperçu des conséquences majeures :
- Déplacements massifs : Des quartiers entiers de Port-au-Prince ont été désertés.
- Insécurité alimentaire : Les blocus des gangs perturbent l’approvisionnement en nourriture et carburant.
- Violence endémique : Assassinats, viols et kidnappings sont monnaie courante.
- Effondrement institutionnel : Les autorités peinent à maintenir l’ordre face à la puissance des gangs.
Ces éléments dressent le portrait d’un pays au bord de l’effondrement, où les gangs, sous la houlette de Chérizier, jouent un rôle central.
Le Passé Trouble de Barbecue
Avant de devenir le chef incontesté de Viv Ansanm, Jimmy Chérizier était un officier de la police nationale haïtienne. Cette période de sa vie est marquée par des accusations graves, notamment son implication dans le massacre de la Saline en 2018. Ce drame, survenu dans un bidonville de la capitale, a coûté la vie à 71 personnes en quelques jours. Selon un rapport, les victimes, y compris des enfants, ont été exécutées, leurs corps brûlés ou démembrés dans des actes d’une violence inouïe.
Les sanctions internationales n’ont pas tardé à suivre. En octobre 2022, Chérizier a été le premier visé par le régime de sanctions de l’ONU, incluant une interdiction de voyager, un gel de ses avoirs et un embargo sur les armes. En mai 2025, les États-Unis ont désigné Viv Ansanm comme une organisation terroriste étrangère, renforçant la pression sur le chef de gang.
Pourtant, Chérizier continue de se présenter comme un défenseur du peuple, rejetant les accusations et dénonçant un système corrompu. Cette rhétorique trouve un écho dans certains quartiers pauvres, où les gangs, paradoxalement, comblent parfois le vide laissé par l’État.
Une Mission Internationale en Échec ?
Face à l’escalade de la violence, une Mission multinationale d’appui à la sécurité, dirigée par le Kenya, a été déployée en juin 2024. Son objectif : soutenir la police haïtienne, dépassée par l’ampleur des violences. Mais les résultats sont loin des attentes. Les gangs, loin d’être affaiblis, continuent de gagner du terrain, et les attaques contre les forces de l’ordre et les officiers internationaux se multiplient.
Un épisode marquant illustre cette impuissance : en 2022, sous la direction de Chérizier, l’alliance G9 avait bloqué le principal terminal pétrolier du pays, paralysant l’économie haïtienne pendant des mois. Cet événement avait catalysé les appels à une intervention internationale, mais la mission actuelle semble incapable de contrer l’influence de Barbecue.
| Événement | Année | Conséquences |
|---|---|---|
| Massacre de la Saline | 2018 | 71 morts, violences extrêmes dans un bidonville |
| Blocus du terminal pétrolier | 2022 | Paralysie économique, pénurie de carburant |
| Attaques de Viv Ansanm | 2024 | Chute du gouvernement, expansion des gangs |
Ce tableau résume les moments clés où Chérizier et ses alliés ont marqué l’histoire récente d’Haïti, soulignant leur capacité à déstabiliser le pays.
Un Révolutionnaire ou un Criminel ?
Le personnage de Jimmy Chérizier divise. Pour certains, il est un criminel sans scrupules, responsable de massacres et d’une violence inouïe. Pour d’autres, dans les quartiers laissés pour compte, il est une figure de résistance face à un État perçu comme corrompu et inefficace. Cette ambiguïté est renforcée par sa présence active sur les réseaux sociaux, où il diffuse des messages enflammés, souvent arme à la main, pour rallier ses partisans.
Son discours, mêlant revendications sociales et appels à la lutte armée, exploite le désespoir d’une population confrontée à la misère et à l’absence d’avenir. Mais ses méthodes, marquées par une brutalité extrême, jettent un voile sombre sur ses prétentions révolutionnaires.
Vers un Avenir Incertain
Alors que les États-Unis offrent une récompense de 5 millions de dollars pour sa capture, Jimmy Chérizier reste insaisissable. Les sanctions internationales, bien que sévères, n’ont pas freiné son influence. Haïti, quant à elle, continue de s’enfoncer dans une crise sans fin, où les gangs dictent leur loi et où l’espoir d’une stabilisation semble s’éloigner.
Pour les Haïtiens, la question demeure : comment reprendre le contrôle d’un pays où un ancien policier, devenu chef de gang, peut défier les autorités et semer la terreur tout en se revendiquant sauveur ? L’avenir d’Haïti dépendra de la capacité de ses institutions, avec ou sans aide internationale, à contrer des figures comme Barbecue, dont le pouvoir semble, pour l’heure, inarrêtable.
En attendant, Port-au-Prince vit au rythme des tirs et des barricades, un quotidien où la peur et l’incertitude règnent en maître. La saga de Jimmy Chérizier, entre révolution et chaos, est loin d’être terminée.
