Dans un petit pays d’Amérique du Sud, où la forêt tropicale enveloppe plus de 95 % du territoire, un scrutin décisif se déroule. Les Guyaniens se sont rendus aux urnes ce lundi pour choisir leur prochain président et leurs députés, dans un contexte où la découverte récente de ressources pétrolières promet de transformer l’avenir de cette nation de 850 000 habitants. Mais au-delà de cette manne financière, c’est aussi un différend frontalier avec le Venezuela voisin qui pèse sur ce vote. Quels sont les enjeux de cette élection, et comment les candidats comptent-ils façonner l’avenir du Guyana ?
Une Élection aux Enjeux Colossal
Le Guyana, longtemps considéré comme l’un des pays les plus pauvres d’Amérique du Sud, est aujourd’hui sous les feux des projecteurs. Depuis 2019, l’exploitation pétrolière a bouleversé son économie, faisant du pays le détenteur des plus grandes réserves de pétrole par habitant au monde. Avec une croissance économique de 43,6 % en 2024, le Guyana affiche des chiffres qui feraient pâlir d’envie bien des nations. Mais cette richesse nouvelle soulève des questions cruciales : qui saura la gérer avec équité, et comment répondre aux attentes d’une population avide de changement ?
Ce scrutin, qui s’est tenu de 6h00 à 18h00, a mobilisé environ 750 000 électeurs dans des conditions logistiques complexes. La forêt dense complique l’accès à de nombreux bureaux de vote, et les résultats ne seront pas connus avant plusieurs jours, selon la Commission électorale. Dans ce contexte, trois figures principales se disputent les suffrages : le président sortant Irfaan Ali, l’opposant Aubrey Norton et l’outsider Azruddin Mohamed, surnommé le « Trump Guyanien ».
Les Candidats : Entre Continuité et Rupture
Le président sortant, Irfaan Ali, représente le Parti Populaire Progressiste (PPP/C), traditionnellement soutenu par la communauté indo-guyanaise. Fort d’un premier mandat marqué par une gestion des revenus pétroliers ayant quadruplé le budget de l’État (6,7 milliards de dollars en 2025), Ali mise sur la continuité. Son bilan met en avant des investissements massifs dans les infrastructures, les hôpitaux et les routes. Comme le souligne un électeur, Halim Khan, un homme d’affaires de 63 ans :
« La richesse pétrolière est bien dépensée. Infrastructure, nouveaux hôpitaux, nouvelles routes. »
Halim Khan, électeur indo-guyanien
Face à lui, Aubrey Norton, leader du Partenariat pour une Nouvelle Unité (APNU), incarne une opposition farouche. Soutenu principalement par les Afro-Guyaniens, il accuse le gouvernement de corruption et de favoritisme ethnique. Sa campagne promet de s’attaquer à trois « ennemis » : le Venezuela, le PPP et la pauvreté. Pour de nombreux électeurs comme Leon Schwartz, un ancien policier de 68 ans, Norton représente une alternative nécessaire :
« Trente-huit ans à travailler. Je gagne 87 000 dollars guyaniens (350 euros) par mois. Après une semaine, il ne reste plus rien. Le PPP doit partir. »
Leon Schwartz, électeur afro-guyanien
Enfin, Azruddin Mohamed, un milliardaire ayant fait fortune dans l’extraction aurifère, bouscule le paysage politique avec son parti WIN (Gagner/Nous Investissons dans la Nation). Malgré des sanctions américaines pour évasion fiscale, il séduit une partie de la jeunesse et des communautés diverses en promettant de « secouer le système ». Andrea Cumberbutch, une auto-entrepreneuse, voit en lui un espoir pour l’avenir :
« Il sait ce dont les jeunes ont besoin. J’ai besoin de changement pour l’avenir de mes enfants. »
Andrea Cumberbutch, électrice
La Manne Pétrolière : Une Chance et un Défi
Le pétrole est au cœur de cette élection. Depuis le début de son exploitation en 2019, le Guyana est passé d’une production de zéro à 650 000 barils par jour, avec une ambition de dépasser le million d’ici 2030. Cette manne a transformé l’économie, mais elle a aussi exacerbé les inégalités et les tensions. Les candidats rivalisent de promesses pour redistribuer cette richesse : hausse des salaires, amélioration des services de santé et d’éducation, ou encore lutte contre l’inflation, alors que les prix des denrées alimentaires explosent.
Chiffres clés du boom pétrolier :
- Production actuelle : 650 000 barils/jour
- Objectif 2030 : 1 million de barils/jour
- Croissance économique 2024 : 43,6 %
- Budget de l’État 2025 : 6,7 milliards de dollars
Cette richesse pétrolière attire également les regards extérieurs, notamment du Venezuela, qui revendique l’Essequibo, une région représentant les deux tiers du territoire guyanien. Riche en pétrole et en minerais, cette zone est au cœur d’un différend frontalier historique. Un incident récent, où des tirs auraient été effectués depuis le Venezuela sur un bateau transportant du matériel électoral, a ravivé les tensions. Le futur président devra naviguer avec prudence dans ce dossier géopolitique explosif.
Un Vote Sous Tension Éthnique
Le Guyana est marqué par une fracture ethnique ancienne entre les populations indo-guyaniennes et afro-guyaniennes. Historiquement, le PPP/C s’appuie sur les premiers, tandis que l’APNU rallie les seconds. Cette élection ne fait pas exception, bien que l’émergence d’Azruddin Mohamed, qui revendique un soutien transethnique, pourrait brouiller les lignes. Cette polarisation ethnique influence non seulement le vote, mais aussi les débats sur la répartition des richesses pétrolières.
Pour de nombreux électeurs, comme Ruth Forde, employée de bureau de 50 ans, voter est un acte d’espoir : « Ce n’est pas si tôt. C’est important de voter. Nous voulons un changement. » Mais ce changement passe-t-il par la continuité prônée par Ali, la rupture promise par Norton, ou l’élan disruptif de Mohamed ?
Les Défis du Prochain Président
Le vainqueur de cette élection héritera d’une responsabilité immense. Outre la gestion de la manne pétrolière, il devra répondre à des attentes sociales croissantes. Les Guyaniens, confrontés à une inflation galopante, attendent des mesures concrètes pour améliorer leur quotidien. Les promesses de « mettre plus d’argent dans les poches » des citoyens résonnent dans toutes les campagnes, mais leur mise en œuvre sera scrutée de près.
Candidat | Parti | Promesses clés |
---|---|---|
Irfaan Ali | PPP/C | Continuité, infrastructures, santé |
Aubrey Norton | APNU | Lutte contre la corruption, pauvreté |
Azruddin Mohamed | WIN | Rupture, soutien transethnique |
En parallèle, le futur dirigeant devra apaiser les tensions géopolitiques avec le Venezuela. La question de l’Essequibo, loin d’être un simple différend frontalier, est un enjeu stratégique qui pourrait redessiner les relations dans la région. Une gestion habile sera nécessaire pour éviter une escalade tout en protégeant les intérêts nationaux.
Un Tournant pour le Guyana
Cette élection marque un tournant pour le Guyana. Entre la promesse d’une prospérité pétrolière sans précédent et les défis d’une société divisée, le choix des électeurs façonnera l’avenir du pays pour les décennies à venir. Alors que les bureaux de vote ont fermé et que le dépouillement commence, une question demeure : le prochain président saura-t-il transformer la richesse pétrolière en un avenir équitable pour tous les Guyaniens ?
Les résultats, attendus dans les prochains jours, apporteront une première réponse. Mais une chose est certaine : dans ce petit pays au cœur de la forêt amazonienne, les enjeux sont aussi vastes que les réserves pétrolières qui reposent sous son sol.