Dimanche, les rues de Conakry, la capitale guinéenne, vibraient d’une énergie particulière. Des files d’électeurs, certains confiants, d’autres méfiants, se pressaient devant les bureaux de vote pour un référendum historique. Ce scrutin, destiné à adopter une nouvelle Constitution, portait en lui l’espoir d’un retour à l’ordre constitutionnel, mais aussi les ombres d’une transition militaire qui divise. Dans un pays marqué par des décennies de régimes autoritaires, ce vote soulève une question brûlante : la Guinée est-elle à l’aube d’une véritable démocratie ou s’enfonce-t-elle dans une nouvelle ère de contrôle militaire ?
Un Référendum Chargé d’Enjeux
Ce référendum, attendu depuis des années, marque une étape cruciale pour la Guinée, un pays d’Afrique de l’Ouest où la pauvreté côtoie une histoire politique tumultueuse. Avec environ 6,7 millions d’électeurs appelés aux urnes sur une population de 14,5 millions, le scrutin a mobilisé une large part de la population. Les bureaux de vote, sous haute surveillance, ont fermé dimanche soir, et les résultats provisoires sont attendus dès mardi. Mais au-delà des chiffres, ce vote cristallise les espoirs et les craintes d’un peuple en quête de stabilité.
La campagne pour le oui a dominé le paysage, portée par des affiches omniprésentes à l’effigie de Mamadi Doumbouya, le chef de la junte au pouvoir depuis le coup d’État de 2021. À l’inverse, la voix du non a été étouffée, les restrictions sur les libertés publiques rendant la contestation quasi impossible. Ce contraste saisissant révèle les tensions sous-jacentes d’un scrutin qui, pour beaucoup, ressemble davantage à une mise en scène qu’à un exercice démocratique.
Mamadi Doumbouya : De Libérateur à Candidat Potentiel ?
En 2021, Mamadi Doumbouya, alors colonel, s’est emparé du pouvoir en renversant le président Alpha Condé. Promettant une transition rapide vers un régime civil, il s’était engagé à ne pas briguer la présidence. Pourtant, le projet de Constitution soumis au référendum omet cette interdiction, ouvrant la voie à une possible candidature. Cette évolution a suscité des réactions mitigées, comme en témoigne cet informaticien de 28 ans, votant dans le quartier populaire de Cosa :
« C’est abusé. Je déplore le fait qu’il y ait moins de libertés, il y a trop d’abus. »
Un électeur anonyme
Pour beaucoup, Doumbouya incarne à la fois l’espoir d’un renouveau et la menace d’une dérive autoritaire. Ancien légionnaire de l’armée française, il dirige le pays d’une main de fer, et son omniprésence dans la campagne référendaire a alimenté les soupçons d’une ambition personnelle.
Une Campagne sous Tension
La campagne pour le référendum a été marquée par une forte polarisation. Dans les quartiers aisés de Conakry, l’affluence était notable, tandis que dans des régions comme Faranah, la participation semblait plus timide. Malgré l’appel au boycott lancé par l’opposition, qui dénonçait une « mascarade électorale », de nombreux Guinéens se sont déplacés, poussés par le désir de mettre fin à la transition militaire. Cependant, la présence massive de forces de sécurité et de véhicules blindés a jeté une ombre sur le processus.
Une responsable syndicale de 72 ans, rencontrée dans le quartier défavorisé de Hamdallaye, résume ce sentiment ambivalent :
« J’ai toujours voté, c’est un devoir de citoyen, et il faut mettre fin à la transition militaire. Mais cette campagne, c’était une campagne présidentielle, pas une campagne pour une Constitution. »
Une électrice anonyme
La propagande pro-junte, omniprésente, a renforcé l’impression d’un scrutin orienté. Les affiches, les slogans et l’omniprésence de Doumbouya ont transformé ce référendum en un plébiscite implicite pour son leadership.
Libertés Sous Pression : La Cybercensure en Question
Le jour du scrutin, l’accès à Internet a été perturbé, affectant particulièrement des plateformes comme Facebook et Telegram. L’Association des blogueurs de Guinée a dénoncé une « cybercensure » manifeste, accusant les autorités de chercher à museler les voix dissidentes. Ces restrictions s’inscrivent dans un contexte plus large de répression des libertés, où les opposants peinent à faire entendre leur message.
Ce climat de contrôle a exacerbé les tensions. Dans un incident rapporté à Conakry, des heurts entre manifestants et forces de l’ordre ont nécessité l’intervention de soldats. Ces événements rappellent la fragilité du processus électoral dans un pays où la liberté d’expression est sous surveillance constante.
Un Scrutin pour la Communauté Internationale
Ce référendum répond également à une pression extérieure. La communauté internationale et les organisations régionales, comme la CEDEAO, exigent un retour rapide à l’ordre constitutionnel. En annonçant des élections présidentielle et législatives d’ici la fin de l’année, la junte cherche à se légitimer aux yeux des bailleurs de fonds et à renouer avec les institutions internationales.
Pourtant, l’absence de calendrier précis pour ces élections soulève des doutes. Le référendum, perçu comme un moyen de « donner le change », pourrait n’être qu’une étape dans une stratégie de consolidation du pouvoir militaire. Comme le souligne un observateur local :
« Les blindés, les armements, les pick-up : c’est pour une Constitution, ça ? Non, c’est pour effrayer les gens. »
Une électrice à Hamdallaye
Les Attentes des Guinéens : Entre Espoir et Crainte
Pour beaucoup de Guinéens, ce référendum incarne l’espoir d’un retour à la stabilité. Ahmad Diallo, un étudiant de 23 ans, exprime un sentiment partagé par certains : « Depuis que les militaires sont au pouvoir, c’est calme, ça se passe bien dans le pays, et on aime ça. » Pourtant, ce calme apparent cache des inquiétudes profondes, notamment face à la perspective d’une candidature de Doumbouya.
Les électeurs se trouvent face à un dilemme : voter pour une Constitution qui pourrait accélérer la fin de la transition militaire, tout en craignant qu’elle ne serve de tremplin à un pouvoir autoritaire. Cette tension est palpable dans les témoignages recueillis, où l’enthousiasme pour le scrutin se mêle à une méfiance envers les intentions de la junte.
Un Avenir Incertain
Alors que les résultats du référendum sont attendus, la Guinée se trouve à un carrefour. Si la nouvelle Constitution est adoptée, elle remplacera la Charte de la transition, qui régissait le pays depuis le coup d’État. Mais cette transition vers un ordre constitutionnel reste fragile, marquée par des restrictions sur les libertés et une forte présence militaire.
Pour mieux comprendre les enjeux de ce scrutin, voici un résumé des points clés :
- Participation : 6,7 millions d’électeurs appelés à voter dans un pays de 14,5 millions d’habitants.
- Contexte : Un référendum sous haute surveillance, avec une campagne dominée par la junte.
- Enjeux : Retour à l’ordre constitutionnel, mais risque de consolidation du pouvoir militaire.
- Libertés : Restrictions sur Internet et répression des voix dissidentes.
- Perspectives : Élections annoncées, mais sans calendrier précis.
Ce référendum, bien que crucial, n’est qu’une étape dans un processus complexe. La Guinée, riche en ressources mais minée par la pauvreté et l’instabilité, aspire à un avenir démocratique. Pourtant, les ombres de la junte planent sur ce scrutin, et l’équilibre entre stabilité et libertés reste précaire.
Vers une Nouvelle Guinée ?
Le vote de dimanche a révélé un peuple divisé, entre ceux qui soutiennent la junte pour son apparente stabilité et ceux qui craignent une dérive autoritaire. Les prochaines élections, si elles ont lieu, seront un test décisif pour la crédibilité de la transition. Pour l’heure, les Guinéens attendent, entre espoir et incertitude, de voir si ce référendum marquera un tournant vers la démocratie ou une consolidation du pouvoir militaire.
Alors que les résultats approchent, une question demeure : la Guinée parviendra-t-elle à surmonter son passé autoritaire pour bâtir un avenir démocratique ? Seule l’histoire nous le dira.