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Guinée : La Nouvelle Route de l’Exode des Jeunes Africains

Safiatou, 33 ans, laisse ses trois enfants dont un bébé de 6 mois pour tenter la traversée depuis la Guinée vers les Canaries. « Ici je souffre, je suis déjà morte » dit-elle. Des centaines de jeunes font le même choix désespéré… Que se passe-t-il vraiment sur cette nouvelle route mortelle ?

Elle s’appelle Safiatou, elle a 33 ans, trois enfants et un regard qui ne sourit plus. Dans quelques jours, elle abandonnera le plus jeune, âgé de six mois seulement, à sa mère pour monter dans une pirogue de fortune quelque part près de Kamsar. Son but ? Atteindre les Canaries, puis l’Europe. Comme elle, des milliers de Guinéennes et Guinéens choisissent aujourd’hui cette nouvelle route maritime, la plus longue et la plus dangereuse jamais empruntée depuis l’Afrique de l’Ouest.

La Guinée, nouveau départ d’un exode silencieux

Jusqu’à récemment, personne n’imaginait voir des embarcations partir directement des côtes guinéennes. Les départs se concentraient au Sénégal, en Mauritanie ou au Maroc. Mais le durcissement des contrôles dans ces pays a repoussé la frontière de l’espoir toujours plus au sud.

Au printemps 2025, au moins huit gros bateaux ont déjà quitté la Guinée avec plus d’une centaine de passagers chacun. Des ONG spécialisées confirment l’émergence brutale de cette voie. Le trajet rallonge considérablement le temps en mer : jusqu’à dix ou douze jours de navigation dans l’Atlantique, contre cinq ou six auparavant depuis le Sénégal.

Une jeunesse qui se sent « déjà morte »

L’expression revient sans cesse dans la bouche des candidats au départ : « Ici, on est déjà morts. » Elle résume le sentiment d’asphyxie d’une génération entière.

« Quand vous leur dites que la route est dangereuse, la plupart répondent que là où nous sommes, on est déjà morts en fait… Vaut mieux tenter… »

Elhadj Mohamed Diallo, responsable d’une organisation de lutte contre la migration irrégulière

Le chômage massif, l’absence totale de perspective, la vie sous une junte militaire depuis quatre ans : tout concourt à pousser les jeunes à tout risquer plutôt que de rester.

Les Guinéens forment désormais la première nationalité africaine à demander l’asile en France (11 336 demandes en 2024) et la troisième mondiale derrière l’Afghanistan et l’Ukraine. Un chiffre qui donne la mesure du désespoir.

Safiatou, mère courage prête à tout sacrifier

Mariée à 18 ans à un homme de 60 ans, aujourd’hui âgé de 75 ans et incapable de subvenir aux besoins de la famille, Safiatou a tout pris en charge seule. Elle a tenté le travail dans les ONG à Conakry, puis le petit commerce. Rien n’a suffi.

« C’est moi qui gère mes enfants seule. Je pars parce que je souffre ici. Tu te bats et il n’y a personne qui t’aide. »

Ses enfants ont onze ans, cinq ans et six mois. Elle les confiera à sa propre mère. La décision est déchirante, mais elle se répète qu’elle n’a « pas le choix ». Elle sait que des femmes se font violer sur la route, que des pirogues coulent, que des corps sont rejetés sur les plages des Canaries. Pourtant elle partira.

Abdourahim, quatre tentatives et toujours debout

À Yattaya T6, banlieue populaire de Conakry, on rencontre Abdourahim dans un café sombre sans électricité. Père de deux enfants, il s’apprête à retenter la traversée pour la quatrième fois en treize ans.

Il garde encore les cicatrices physiques et invisibles de ses précédents échecs : cinq ans passés dans la forêt de Gourougou au Maroc, blessures à la tête lors d’une tentative d’escalade de la clôture de Melilla en 2011, pirogue renversée, arrestations, rackets, vols… Il a tout vécu.

Son père vient de mourir. Il a vendu la voiture familiale pour financer ce nouveau départ. « J’ai beaucoup de famille qui compte sur moi… mais il n’y a rien pour moi ici ».

Un garage, un espoir minuscule

À côté du café, Mamadou Yero, 30 ans, répare des voitures dans un atelier de fortune. Il gagne juste de quoi manger. Lui aussi se dit prêt à partir cette année. Comme tant d’autres, il bricole, survit, mais ne vit pas.

Dans ce même quartier, plus de 150 jeunes se retrouvent régulièrement. Aucun n’a d’emploi stable. L’association locale ne peut que constater l’ampleur du phénomène.

Les autorités conscientes mais démunies

Le directeur général des Guinéens de l’étranger avoue sans détour : « Nous en sommes conscients, parce que c’est nous qui perdons nos fils et ces jeunes… » Des patrouilles policières ont été renforcées sur les plages, mais elles peinent à endiguer le flux.

Le Premier ministre lui-même parle d’une véritable « hémorragie » migratoire. Le mot est fort, rarement employé par un responsable politique pour qualifier le départ de sa propre jeunesse.

Pourquoi cette route plutôt qu’une autre ?

Paradoxalement, nombreux sont ceux qui choisissent désormais la voie maritime directe depuis la Guinée parce qu’elle évite les violences extrêmes subies sur la route terrestre : expulsions brutales au Maroc, camps en Algérie, viols et traite en Tunisie.

  • Moins de passages par des pays où les migrants subsahariens sont traqués
  • Évite les déserts et les zones de non-droit
  • Illusion d’un trajet « plus direct » malgré la durée en mer

Même si le risque de naufrage est terrifiant, certains estiment qu’il vaut mieux « mourir en mer que sous les coups ou dans l’indifférence ».

L’Europe, mirage toujours plus lointain

Les Canaries restent la principale porte d’entrée clandestine en Europe pour les Africains. Les politiques de visas toujours plus restrictives laissent peu d’alternatives légales. Étudier, travailler, rejoindre la famille : presque impossible pour la majorité des Guinéens.

Résultat : on préfère risquer sa vie dans une coque de noix plutôt que de rester dans un pays où l’avenir semble définitivement bouché.

L’histoire de Safiatou, d’Abdourahim et de milliers d’autres n’est pas seulement une histoire de migration. C’est le cri d’une génération entière qui refuse de mourir à petit feu chez elle et choisit, malgré tout, l’espoir fou de l’ailleurs.

Ils savent que beaucoup ne reviendront jamais. Mais ceux qui restent n’ont plus rien à perdre. Et cela, plus que tout, devrait nous interroger.

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