Imaginez-vous à trois semaines d’une élection censée ramener la démocratie dans votre pays. Vous êtes responsable de campagne d’un candidat d’opposition. Vous rentrez chez vous tard le soir. Et soudain, plus rien. Votre téléphone ne répond plus. Votre famille alerte tout le monde. Personne ne sait où vous êtes. C’est exactement ce qui est arrivé à Massa Douago Guilavogui dans la nuit du 2 au 3 décembre 2025 à Conakry.
Un enlèvement qui choque l’opposition guinéenne
Le Bloc libéral, un des rares partis qui osent encore critiquer ouvertement la junte au pouvoir, a réagi avec force. Son président, Oumar Sanoh, a convoqué la presse dès le lendemain pour dénoncer ce qu’il qualifie sans détour d’« enlèvement ».
« Cet acte odieux, perpétré par des individus non identifiés, s’inscrit dans une série d’attaques visant à intimider, à réduire au silence et à déstabiliser notre parti ainsi que tous ceux qui œuvrent pour la démocratie »
Oumar Sanoh, président du Bloc libéral
Le parti centriste exige la libération immédiate et sans condition de son responsable, ainsi que de toutes les personnes arbitrairement détenues ou portées disparues ces derniers mois.
Qui est Massa Douago Guilavogui ?
Massa Douago Guilavogui occupait le poste de directeur adjoint de la campagne du candidat Faya Millimono, leader historique du Bloc libéral. À 25 jours du scrutin présidentiel du 28 décembre 2025, son rôle était central dans la coordination des équipes sur le terrain.
Son enlèvement survient au moment où le parti tente de mobiliser malgré les restrictions imposées aux rassemblements publics et la suspension de plusieurs médias critiques.
Un climat de terreur qui s’installe durablement
Depuis le coup d’État du 5 septembre 2021 mené par le colonel Mamadi Doumbouya, la Guinée vit sous un régime militaire qui promettait pourtant un retour rapide à l’ordre constitutionnel. Quatre ans plus tard, le chef de la junte se présente lui-même à l’élection qu’il organise, brisant ainsi sa promesse initiale de ne pas briguer le pouvoir civil.
Les organisations de défense des droits humains recensent des dizaines de cas similaires : militants arrêtés sans mandat, activistes disparus, journalistes intimidés. Les autorités, elles, affirment systématiquement « ne rien savoir » de ces disparitions.
Chape de plomb. Meetings interdits, réseaux sociaux filtrés, radios et télévisions suspendues, leaders politiques assignés à résidence : la Guinée d’aujourd’hui ressemble de plus en plus à une démocratie en sursis.
La présidentielle du 28 décembre sous haute tension
Le scrutin à venir devait marquer la fin de la transition. Doumbouya, donné largement favori par les observateurs, fait face à une opposition fragmentée et affaiblie. Plusieurs poids lourds de la scène politique ont été écartés ou ont choisi l’exil.
Faya Millimono fait partie des rares candidats autorisés à se présenter et à faire campagne ouvertement. Son parti, le Bloc libéral, se positionne comme une alternative centriste et refuse toute compromission avec le pouvoir militaire.
- Restriction des meetings publics depuis 2022
- Suspension indefinite de plusieurs chaînes de télévision et radios
- Interdiction de manifester dans les grandes villes
- Multiplication des arrestations arbitraires de militants
- Coupures fréquentes d’internet lors des périodes sensibles
Une stratégie d’intimidation bien rodée
Le timing de l’enlèvement ne doit rien au hasard. À moins d’un mois du vote, priver un candidat de son directeur de campagne adjoint revient à saboter sa logistique au moment où chaque voix compte.
Ce type d’action crée un effet domino : les autres responsables de campagne hésitent à sortir, les militants se terrent, les réunions se tiennent en petit comité. La peur devient l’arme la plus efficace du pouvoir.
« Cet enlèvement plonge notre pays dans un climat de terreur inacceptable »
Déclaration officielle du Bloc libéral, 4 décembre 2025
Quel avenir pour la démocratie guinéenne ?
La communauté internationale observe avec inquiétude. La CEDEAO, l’Union africaine et plusieurs chancelleries occidentales ont déjà exprimé leur « préoccupation » face à la dégradation du climat pré-électoral.
Mais sur le terrain, les Guinéens retiennent leur souffle. Beaucoup se demandent si l’élection du 28 décembre sera réellement libre et transparente, ou si elle ne fera que consacrer le maintien au pouvoir du général Doumbouya sous une apparence civile.
En attendant, la famille de Massa Douago Guilavogui reste sans nouvelles. Le Bloc libéral maintient sa campagne mais dans un climat d’angoisse permanente. Et chaque nuit qui passe renforce le sentiment que la Guinée s’enfonce un peu plus dans l’arbitraire.
Une seule question demeure : jusqu’où ira la junte pour conserver le pouvoir ?
La réponse, malheureusement, pourrait s’écrire dans le silence des disparus.









