Imaginez un pays où, dès la fermeture des bureaux de vote, deux camps proclament simultanément leur triomphe. Pas d’attente des résultats officiels, pas de prudence : juste la certitude absolue d’avoir gagné. C’est exactement ce qui se passe en ce moment en Guinée-Bissau.
Le scrutin présidentiel et législatif du dimanche dernier a à peine refermé ses urnes que les déclarations fusent. Le président sortant, Umaro Sissoco Embalo, et le candidat soutenu par une partie de l’opposition, Fernando Dias da Costa, jurent chacun avoir remporté l’élection dès le premier tour. Une situation qui rappelle de très mauvais souvenirs aux Bissau-Guinéens.
Une victoire à deux voix avant même les chiffres
Le porte-parole de la campagne du président Embalo a été catégorique : il n’y aura pas de second tour. Selon lui, le chef de l’État sortant est assuré d’un second mandat. Des mots prononcés avec une assurance qui laisse peu de place au doute… ou à la concertation.
De son côté, Fernando Dias da Costa n’a pas hésité une seconde. Entouré de ses partisans, il a diffusé une vidéo devenue virale sur les réseaux sociaux : « Vous pouvez parler de second tour, mais ici il n’y en a pas. Le candidat Dias a gagné dès le premier tour. » Le ton est martial, l’ambiance électrique.
« Cette élection est gagnée, elle est gagnée dès le premier tour »
Fernando Dias da Costa, candidat soutenu par une frange de l’opposition
Un scrutin sous très haute tension
Ce qui rend la situation particulièrement explosive, c’est l’absence du grand favori initial : Domingos Simões Pereira, leader historique du PAIGC, le parti qui a conduit le pays à l’indépendance. Sa candidature a été invalidée par la Cour suprême pour dépôt tardif de dossier. Le PAIGC lui-même a été exclu des législatives pour la même raison.
Résultat : Fernando Dias da Costa a récupéré le soutien d’une partie des militants et sympathisants du PAIGC. Un report de voix qui change complètement la donne et explique, en partie, sa confiance affichée.
Le président Embalo, lui, partait favori dans les sondages. Réélu ou pas, il reste une figure clivante, accusée par ses adversaires d’avoir fragilisé les institutions depuis son arrivée au pouvoir en 2020.
Les résultats officiels attendus jeudi… mais déjà contestés
Officiellement, les premiers chiffres provisoires ne seront publiés que jeudi. Ils devront ensuite être validés par la Cour suprême, à une date encore inconnue. Autant dire que le temps va sembler très long dans les rues de Bissau.
La communauté internationale suit l’affaire de très près. La CEDEAO, l’Union africaine et d’autres observateurs ont salué le calme du vote lui-même. Mais tous insistent sur un point crucial : éviter les annonces prématurées.
« La mission est consciente que le processus entre dans une phase sensible avec la publication des résultats »
Issufu Baba Braimah Camara, chef de la mission d’observation CEDEAO
Un appel à la patience qui risque de rester lettre morte tant les deux camps semblent déjà convaincus de leur légitimité.
Un pays habitué aux crises post-électorales
Pour comprendre l’angoisse qui gagne peu à peu la population, il faut remonter à 2019. À l’époque, la présidentielle avait déjà opposé Umaro Sissoco Embalo à Domingos Simões Pereira. Les deux hommes avaient revendiqué la victoire. S’en étaient suivis plusieurs mois de crise institutionnelle, de manifestations et de blocage total.
Depuis l’indépendance en 1974, la Guinée-Bissau a connu quatre coups d’État réussis et une quinzaine de tentatives. La stabilité politique reste un rêve lointain. Chaque élection est un test grandeur nature pour la jeune démocratie bissau-guinéenne.
Le saviez-vous ? Sur les 13 chefs d’État qu’a connus la Guinée-Bissau depuis l’indépendance, aucun n’a terminé son mandat de façon régulière et pacifique.
860 000 électeurs dans l’incertitude
Près de 860 000 Bissau-Guinéens étaient appelés aux urnes dimanche. Ils devaient élire à la fois leur président et leurs 102 députés. Un double scrutin à forts enjeux dans un pays où le président dispose de pouvoirs étendus.
Le vote s’est déroulé dans le calme, selon tous les observateurs. Mais le vrai test commence maintenant. La publication des résultats sera scrutée à la loupe. La moindre irrégularité, le moindre soupçon de fraude pourrait mettre le feu aux poudres.
Dans les quartiers populaires de Bissau, on sent déjà la nervosité monter. Les jeunes, particulièrement, se souviennent des violences post-électorales passées. Beaucoup craignent que l’histoire ne se répète.
La communauté internationale en alerte
La CEDEAO a déployé une importante mission d’observation. Son chef a tenu à rappeler les règles élémentaires de transparence. Même message du côté de l’Union africaine et des partenaires européens.
Tout le monde sait que la Guinée-Bissau reste un maillon faible de la stabilité régionale. Un nouveau cycle de violence aurait des répercussions bien au-delà de ses frontières.
Pour l’instant, les appels au calme se multiplient. Mais dans un pays où la parole politique pèse souvent plus lourd que les institutions, ces messages risquent de rester inaudibles face aux ambitions personnelles.
Et maintenant ?
Jeudi sera un jour décisif. Si les résultats provisoires donnent un vainqueur clair avec plus de 50 %, la tension pourrait redescendre. Mais si les chiffres sont serrés, ou si l’un des camps conteste la régularité du scrutin, alors tout devient possible.
La Cour suprême aura le dernier mot. Mais son impartialité est déjà mise en doute par une partie de l’opposition, qui lui reproche d’avoir écarté Domingos Simões Pereira et le PAIGC.
Dans les rues de Bissau, on prie pour que la raison l’emporte. Mais l’histoire récente du pays invite à la plus grande prudence. Quand deux hommes se proclament président avant même les résultats, c’est rarement bon signe.
La Guinée-Bissau se trouve une nouvelle fois à la croisée des chemins. Espérons que cette fois, le chemin choisi sera celui de la paix et de la démocratie.









