Au XVIe siècle, un cri de joie retentit dans la France des lettres : « Tout le monde est plein de gens savants ! » Non, ce n’est pas une ironie à la Rabelais, mais bien un hymne sincère entonné par ce dernier pour célébrer la renaissance des études humanistes dans le royaume. Et pourtant, celui qui en fut le principal artisan, Guillaume Budé, est aujourd’hui bien oublié malgré une renommée qui éclipsait celle de l’auteur de Gargantua en son temps. Qui était donc ce « Michel-Ange de l’écriture néo-latine » comme l’appelait Marc Fumaroli ?
Guillaume Budé, le « bœuf laborieux » des lettres françaises
Né en 1467 dans une famille de la noblesse de robe parisienne, Guillaume Budé se passionne très tôt pour l’étude des langues et littératures anciennes, en particulier le grec. Véritable « abysme de science » selon les mots de Rabelais, il accumule une somme de connaissances et de travaux prodigieuse. Non sans humour, il compare lui-même son nom Budé à un jeu de mot signifiant le « bœuf laborieux » en grec.
Son premier ouvrage d’envergure en 1508 est une édition corrigée des Pandectes, ces compilations de lois qui forment le socle du droit romain, dont il amende avec rigueur philologique le texte grec et latin. Ce travail le propulse au rang de juriste éminent et écouté à la cour de François Ier.
Un engagement pour la renaissance du grec et du latin
Fort de son aura, Guillaume Budé se lance dans une ambitieuse campagne de lobbying auprès du roi afin d’obtenir la création de chaires rémunérées pour les meilleurs lettrés hellénistes et latinistes du royaume. Il s’inspire en cela de la politique culturelle des empereurs romains comme Vespasien, qui avait pour la première fois accordé un salaire sur le trésor public à des professeurs comme Quintilien.
Après de longues tractations, François Ier finit par céder : en 1530 sont fondées les chaires d’hébreu et de grec qui constituent l’embryon du futur Collège de France, temple des humanités qui honorera plus tard son fondateur d’une statue.
Le De Asse : une enquête érudite sur la fortune des Romains
Le second opus majeur de Budé, le De Asse, témoigne de l’immense culture et de la curiosité du personnage. Sous un titre austère, L’As et ses fractions, se cache en réalité une vaste enquête sur la richesse dans la Rome antique. L’auteur cherche à estimer les fortunes colossales dont disposait le trésor romain, de l’ordre de centaines de tonnes d’or et de milliards de sesterces ! Un travail précurseur de l’histoire économique.
Le combat d’un patriote pour l’honneur des lettres françaises
Au-delà de l’érudition, l’engagement de Guillaume Budé pour la cause des lettres anciennes revêt une dimension patriotique. Il s’agit pour lui de répondre aux attaques d’humanistes italiens comme Valla ou Érasme qui vilipendaient l’inculture des Français. Pugnace, notre savant se fait le héraut de la tradition littéraire gauloise, citant les éloges que les auteurs antiques comme Strabon faisaient des écoles et bibliothèques de Marseille dès l’époque d’Auguste.
Budé se veut le « vengeur de l’honneur bafoué de la culture française »
Un héritage pour la philologie moderne
Par-delà sa renommée, l’œuvre de Guillaume Budé nous lègue une méthode qui devrait inspirer les études classiques actuelles. Refusant tout cloisonnement disciplinaire, il embrasse d’un même regard passionné les lettres, l’histoire, le droit, l’économie de l’Antiquité. Aux antipodes de l’hyperspécialisation et de l’érudition desséchante, la sienne est, comme le notent justement ses biographes contemporains, une « pensée de la convergence et de la non-exclusion ».
En nommant leur prestigieuse collection bilingue d’auteurs anciens du nom de « Budé », nos grands philologues du début du XXe siècle comme Paul Mazon ou Alfred Ernout ont rendu un hommage mérité et durable à ce géant trop méconnu des lettres françaises. Alors que les humanités semblent à nouveau menacées, puisse son exemple éveiller de nouvelles vocations !