Imaginez partir en vacances en Thaïlande et vous évaporer purement et simplement. Pas d’alerte enlèvement, pas de rançon, juste le vide. C’est exactement ce qui est arrivé à Gui Minhai le 17 octobre 2015. Dix ans plus tard, l’affaire resurgit avec une force nouvelle : le Groupe de travail de l’ONU sur la détention arbitraire vient de déclarer que la Chine le retient de façon totalement illégale.
Une disparition qui a choqué le monde
Ce jour-là, Gui Minhai se trouve dans sa résidence secondaire à Pattaya. L’éditeur sino-suédois, connu à Hong Kong pour publier des livres très critiques (et souvent sulfureux) sur les dirigeants chinois, disparaît sans laisser de trace. Les caméras de vidéosurveillance de son immeuble le montrent quittant les lieux seul, sacs à la main. Ensuite, plus rien.
Trois mois plus tard, il réapparaît… en Chine, dans un lieu tenu secret. Commence alors une saga judiciaire et diplomatique qui n’en finit pas de rebondir.
Qui est vraiment Gui Minhai ?
Né en 1964 à Ningbo, Gui Minhai appartient à cette génération qui a vécu la répression de Tian’anmen en 1989. Choqué par les événements, il quitte la Chine pour la Suède, où il obtient la nationalité en 1996. À Hong Kong, il cofonde la maison d’édition Causeway Bay Books, spécialisée dans les ouvrages politiques interdits sur le continent.
Ses livres, souvent écrits sous pseudonyme, racontent les liaisons supposées des hauts dirigeants, leurs richesses cachées, leurs luttes de pouvoir. Des titres tapageurs qui se vendent comme des petits pains aux touristes chinois de passage à Hong Kong avant 2019.
2015-2017 : le premier cycle carcéral
Après sa disparition en Thaïlande, Gui Minhai « confesse » à la télévision chinoise avoir causé un accident mortel en 2003 alors qu’il conduisait ivre. Une vidéo manifestement mise en scène, tournée dans un lieu inconnu. Il est condamné à deux ans de prison avec sursis.
Libéré en octobre 2017, il est placé sous surveillance stricte à Ningbo. Beaucoup pensent alors que l’affaire est close.
Janvier 2018 : l’enlèvement dans le train
Mais le cauchemar reprend. Le 20 janvier 2018, Gui Minhai monte dans un train pour Pékin, accompagné de deux diplomates suédois. Il doit consulter un médecin spécialisé, la Suède ayant enfin obtenu l’autorisation. À mi-parcours, une dizaine d’hommes en civil montent dans le wagon, exhibent des badges de police et l’emmènent de force. Les diplomates sont impuissants.
Les images de vidéosurveillance du train, diffusées plus tard, montrent la scène : Gui Minhai, terrifié, est traîné hors du wagon. C’est la dernière fois qu’un étranger le verra en liberté.
2020 : dix ans pour « fourniture illégale de renseignement »
Deux ans plus tard, en février 2020, un tribunal de Ningbo le condamne à dix ans de prison ferme. Le motif ? Avoir « illégalement fourni des renseignements à l’étranger ». Aucune preuve n’est rendue publique. L’audience dure deux heures, à huis clos. La Suède n’a pas accès au dossier.
Pékin affirme alors que Gui Minhai a demandé lui-même à retrouver sa nationalité chinoise en 2018, profitant d’une procédure de restauration de nationalité. Stockholm dément formellement et continue de le considérer comme citoyen suédois, donc protégé par le droit consulaire.
L’avis cinglant de l’ONU en 2025
Le 30 octobre 2025, le Groupe de travail sur la détention arbitraire des Nations-Unies rend son verdict : la privation de liberté de Gui Minhai est arbitraire et viole plusieurs articles de la Déclaration universelle des droits de l’homme.
« La privation de liberté de M. Gui Minhai, étant dépourvue de base légale, est arbitraire et tombe sous le coup de la catégorie I. »
Groupe de travail de l’ONU sur la détention arbitraire
Le groupe demande à la Chine de « prendre sans délai les mesures nécessaires pour remédier à la situation », ce qui, en langage onusien, signifie généralement une libération immédiate et des excuses.
Pourquoi cette décision est historique
C’est la première fois qu’un organe onusien se prononce aussi clairement sur le cas Gui Minhai depuis sa seconde arrestation. Jusqu’à présent, les rapporteurs spéciaux avaient émis des inquiétudes, mais jamais un avis aussi formel et contraignant.
La décision met également en lumière la pratique chinoise des « aveux télévisés » et des enlèvements transfrontaliers, déjà dénoncés dans l’affaire des libraires de Hong Kong en 2015.
La bataille de la double nationalité
La Chine ne reconnaît pas la double nationalité. Dès qu’un binational met le pied sur son sol (ou est ramené de force), il est considéré exclusivement chinois. C’est la base juridique qui permet à Pékin de refuser tout accès consulaire.
- Gui Minhai : naturalisé suédois depuis 1996
- Passeport suédois renouvelé plusieurs fois
- Aucune preuve publique de renonciation volontaire
- La Suède continue de le considérer comme son ressortissant
Pour Stockholm, il s’agit d’un enlèvement d’État. Pour Pékin, d’une affaire purement interne.
Les pressions internationales s’intensifient
L’ONG Reporters sans frontières a immédiatement salué la décision onusienne et appelé l’Union européenne à durcir le ton. Lors de sa visite à Pékin en octobre 2025, la ministre suédoise des Affaires étrangères, Maria Malmer Stenergard, a de nouveau exigé la libération de Gui Minhai. Refus catégorique : ni elle ni les diplomates n’ont pu le voir.
Depuis dix ans, la Suède a élevé l’affaire au plus haut niveau. Anciens Premiers ministres, roi de Suède, Parlement européen : tous ont demandé sa libération. En vain.
Que risque vraiment la Chine ?
Juridiquement, presque rien. Les avis du Groupe de travail ne sont pas contraignants. Mais politiquement, chaque décision de ce type alimente le récit d’un régime qui bafoue les droits humains les plus élémentaires.
À l’heure où Pékin cherche à redorer son image après les années Covid et les tensions commerciales, l’affaire Gui Minhai reste une épine plantée dans le pied des diplomates chinois.
Et maintenant ?
Gui Minhai a aujourd’hui 61 ans. Condamné à dix ans en 2020, il ne sortira théoriquement pas avant 2030, sauf grâce ou échange. Sa fille Angela, qui mène le combat depuis Londres, continue de alerter la presse internationale.
L’avis de l’ONU offre une nouvelle fenêtre, peut-être la dernière, pour faire bouger les lignes. Reste à savoir si la communauté internationale aura le courage politique d’aller au-delà des communiqués.
Dix ans après sa disparition en Thaïlande, l’histoire de Gui Minhai n’a toujours pas de fin. Et chaque année qui passe rend plus improbable le happy end que tout le monde espère… ou que certains craignent.
À retenir : Un citoyen suédois disparaît en 2015, réapparaît en Chine, passe dix ans derrière les barreaux sans vrai procès public. L’ONU vient de déclarer sa détention arbitraire. L’affaire illustre parfaitement le bras de fer entre États de droit et autoritarisme numérique.
Une chose est sûre : tant que Gui Minhai restera en prison, cette affaire continuera d’empoisonner les relations entre la Chine et une grande partie du monde occidental.









