Dans les couloirs d’un ancien sanatorium reconverti en caserne militaire dans la région de Donetsk, le sergent Nazar, surnommé «Bébé», range son fusil d’assaut dans un recoin de sa chambrée spartiate. Ce vétéran de la guerre de 2014 partage son quotidien entre le front et ce dortoir collectif, une routine qui n’est pas sans lui rappeler la cellule de prison qu’il a quittée il y a quelques mois. Car Nazar fait partie de ces détenus ukrainiens qui ont choisi de troquer leur uniforme de prisonnier contre un treillis militaire, pour aller se battre dans le Donbass et ainsi racheter leur peine.
Une loi pour combler les rangs de l’armée ukrainienne
Depuis mai dernier, une loi permet en effet aux condamnés de s’engager dans des unités particulièrement exposées de l’armée ukrainienne, qui fait face à une pénurie criante de soldats aguerris sur le front de l’Est. Cette mesure controversée vise à donner une seconde chance à certains détenus triés sur le volet, tout en renforçant les troupes de Kiev dans des zones stratégiques où les pertes sont nombreuses.
Un choix cornélien pour les prisonniers
Pour les prisonniers volontaires, c’est un choix difficile entre deux options peu enviables : purger le reste de leur peine derrière les barreaux ou risquer leur vie sous les bombes russes. Mais beaucoup y voient l’opportunité de se racheter une conduite et de retrouver plus rapidement leur liberté, au prix d’un engagement dans ce que certains surnomment déjà «les bataillons du désespoir».
On nous a dit : soit vous allez au front, soit vous restez en prison. Alors je suis venu ici pour laver mes fautes avec mon sang.
– Andrii, ancien détenu engagé sur le front
Un entraînement accéléré avant le déploiement
Avant de rejoindre leurs unités, ces recrues atypiques suivent un entraînement militaire accéléré pendant quelques semaines, le temps d’apprendre les rudiments du combat et de la discipline. Un apprentissage intense et brutal, loin des standarts habituels de l’armée régulière. Puis direction le front de l’Est et ses tranchées boueuses, où les attendent des missions périlleuses aux avant-postes.
Des unités exposées aux avant-postes
Disposées en première ligne face aux séparatistes prorusses, ces unités composées d’anciens détenus subissent des bombardements quotidiens et des assauts répétés. Avec un équipement souvent vétuste et une formation sommaire, leur espérance de vie sur le champ de bataille est faible. Beaucoup tombent dès les premières semaines, d’autres sont blessés ou capturés.
Le prix de la rédemption
Malgré ce lourd tribut, ceux qui survivent assurent ne rien regretter. Pour eux, c’est le prix à payer pour effacer leurs erreurs passées et regagner leur place dans la société. Une rédemption par le feu qui suscite des sentiments ambivalents au sein de la population ukrainienne, entre compassion, méfiance et admiration.
Je sais que beaucoup nous voient comme de la chair à canon. Mais en venant ici, on essaie de faire quelque chose de bien, peut-être pour la première fois de notre vie.
– Sergiy, ancien détenu blessé au combat
Un pari risqué pour les autorités ukrainiennes
Pour les autorités de Kiev, l’envoi de prisonniers sur le front est un pari risqué mais nécessaire face à l’urgence de la situation militaire dans le Donbass. Malgré les critiques sur les conditions de leur engagement et le risque de récidive, le gouvernement assume ce choix controversé et met en avant la volonté de réinsertion de ces hommes en quête de rachat.
Reste à savoir si cette expérience inédite portera ses fruits sur le long terme, tant sur le plan militaire que social. Une chose est sûre : dans les tranchées du Donbass, la guerre a déjà transformé le destin de ces prisonniers en soldats d’un genre nouveau, unis dans l’adversité par une même soif de rédemption.