Imaginez un instant que vous ne puissiez pas offrir une sépulture décente à un être cher, que la guerre vous force à creuser une tombe devant votre porte. C’est la réalité brutale que vivent des milliers de Soudanais depuis avril 2023. Dans la région de Khartoum, ravagée par un conflit sans merci, les cimetières sont devenus inaccessibles, laissant les familles dans un désespoir silencieux.
Un Conflit qui Redéfinit la Mort
Depuis près de deux ans, le Soudan est déchiré par une guerre civile opposant l’armée nationale à des forces paramilitaires. Ce conflit, qui a éclaté en avril 2023, a transformé la capitale et ses environs en un champ de bataille où la vie et la mort se mêlent dans une tragédie quotidienne. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : des dizaines de milliers de victimes et plus de 12 millions de déplacés.
Dans ce chaos, un phénomène poignant émerge. Les habitants, privés d’accès aux nécropoles traditionnelles, improvisent des sépultures là où ils le peuvent. Une planche de bois, un bout de métal ou même un tableau noir deviennent des marqueurs funéraires, symboles d’une dignité arrachée par la violence.
Des Tombes au Pied des Maisons
Dans une ville voisine de Khartoum, un homme raconte avoir inhumé sa mère devant sa maison, les yeux fatigués par des nuits sans sommeil. Les routes, bloquées par des débris et surveillées par des tireurs embusqués, rendaient tout déplacement impossible. « Nous n’avions pas d’autre choix », confie-t-il, la voix brisée, à une source proche du terrain.
« Nous avons été contraints de l’enterrer là, sous un monticule de terre, avec une simple planche pour marquer l’endroit. »
– Témoignage recueilli sur place
Ce n’est pas un cas isolé. Partout dans la région, les jardins, les rues et même les terrains vagues se transforment en lieux de repos éternel. À Omdourman, un ancien terrain de football est aujourd’hui une nécropole improvisée, où les vivants côtoient les morts dans une proximité glaçante.
Une Capitale Méconnaissable
Jadis vibrante, Khartoum est aujourd’hui une ville fantôme. Ses marchés colorés et ses vendeurs de thé ont cédé la place à des rues silencieuses, bordées de tombes de fortune. Selon un rapport d’experts britanniques, plus de 60 000 personnes auraient péri dans les 14 premiers mois du conflit dans la capitale seule. Un bilan qui donne le vertige.
Les combats entre l’armée et les paramilitaires ont rendu les cimetières inaccessibles. Les familles, prises au piège, n’ont d’autre option que de creuser là où elles se trouvent. Cette situation illustre une crise humanitaire d’une ampleur rare, où même la mort perd son rituel.
Les Obstacles d’un Dernier Adieu
Les récits de ceux qui tentent d’atteindre les cimetières sont déchirants. Un fossoyeur bénévole explique avoir vu des corps abandonnés dans les rues, en décomposition, faute de pouvoir les transporter. « Parfois, on trouve une tombe fraîchement creusée au milieu de la chaussée », ajoute-t-il, soulignant l’absurdité de la situation.
Les forces paramilitaires, en particulier, sont pointées du doigt. Dans certains quartiers, elles bloquent l’accès aux nécropoles, allant jusqu’à brutaliser ceux qui tentent de passer. « On a essayé d’y aller avec des cercueils, mais ils nous ont repoussés à coups de bâton », témoigne un habitant.
- Routes impraticables : gravats et snipers empêchent tout déplacement.
- Violences ciblées : les paramilitaires contrôlent des zones clés.
- Manque de moyens : pas de matériel pour des enterrements dignes.
Quand la Guerre Frappe Même les Morts
Le chaos ne s’arrête pas aux vivants. Des obus ont éventré des cimetières, déterrant des corps déjà inhumés. « Même les morts ne sont pas épargnés », déplore un témoin, évoquant des scènes dignes d’un cauchemar. Cette guerre, qui oppose deux généraux ambitieux, laisse derrière elle un sillage de destruction totale.
Les accusations pleuvent sur les deux camps. Bombardements de zones civiles, attaques contre des hôpitaux, violences sexuelles : les crimes de guerre s’accumulent. Les paramilitaires, notamment, sont soupçonnés de pratiques systématiques visant à terroriser la population.
Une Crise Humanitaire Sans Fin
Avec 12 millions de déplacés, le Soudan traverse l’une des pires crises humanitaires de son histoire. Les Nations unies alertent sur une situation « catastrophique », où la faim et les maladies s’ajoutent aux pertes humaines. Dans ce contexte, l’impossibilité d’enterrer les morts devient un symbole poignant de l’effondrement social.
Indicateur | Chiffre | Période |
Morts à Khartoum | 60 000+ | 14 premiers mois |
Déplacés | 12 millions | Depuis avril 2023 |
Ces chiffres, bien qu’impressionnants, ne racontent qu’une partie de l’histoire. Derrière chaque nombre, il y a des familles brisées, des vies interrompues et des traditions piétinées.
Vers une Issue Incertaine
Récemment, l’armée a repris du terrain, notamment l’aéroport de Khartoum, chassant les paramilitaires de vastes zones de la capitale. Une lueur d’espoir ? Pas vraiment. Ces derniers, loin de capituler, continuent leurs assauts dans les quartiers résidentiels et maintiennent leur emprise sur des régions éloignées.
Pour les habitants, la fin des combats reste un mirage. Tant que la guerre perdure, les tombes de fortune continueront de fleurir, rappelant que même dans la mort, la paix reste hors de portée.
Une guerre qui vole aux vivants leur droit de pleurer les morts.
Ce conflit, bien plus qu’une lutte de pouvoir, est une tragédie humaine qui redéfinit les limites de la souffrance. Combien de temps encore les Soudanais devront-ils enterrer leurs proches au milieu des ruines ? La réponse, pour l’instant, reste suspendue dans l’air poussiéreux de Khartoum.