Guatemala. Ce nom résonne aujourd’hui comme un cri de justice étouffé depuis des décennies. Au cœur de l’Amérique centrale, les fantômes d’une guerre civile sanglante refont surface lors d’un procès historique. Sur le banc des accusés : Benedicto Lucas Garcia, un ex-général nonagénaire soupçonné d’avoir orchestré le génocide de plus de 1200 indigènes mayas ixils entre 1978 et 1982. Le verdict tant attendu pourrait sceller le destin d’une nation hantée par son passé.
Un procès pour l’Histoire
Ce jeudi, dans un tribunal guatémaltèque, les mots de l’accusation claquent comme un coup de tonnerre. La procureure Mercedes Morales requiert la peine maximale contre Benedicto Lucas Garcia : 2860 ans de réclusion. 30 ans pour génocide, 30 ans pour crimes contre l’humanité, et 2800 ans pour la disparition forcée de 70 personnes. Un réquisitoire implacable qui vise à faire entrer ce procès dans l’Histoire.
Pour étayer ses arguments, la procureure déroule les preuves accablantes : documents militaires, rapports médico-légaux, témoignages poignants de survivants… Autant de pièces qui démontrent, selon elle, “l’intention de l’accusé de détruire l’ethnie maya ixil”, considérée comme un ennemi de l’intérieur par le régime de l’époque. Des opérations militaires “impitoyables” qui n’épargnaient ni les enfants, ni les personnes âgées, ni même les femmes enceintes. Une page sombre de l’histoire guatémaltèque que ce procès entend mettre en lumière.
Un accusé âgé et déjà condamné
Dans le box des accusés, Benedicto Lucas Garcia, 92 ans, écoute le réquisitoire via vidéoconférence depuis un hôpital militaire où il est détenu. L’ex-général n’en est pas à son premier rendez-vous avec la justice. En 2018, il a déjà été condamné à 58 ans de prison pour la disparition forcée d’un jeune homme et le viol et la torture de sa sœur. Des crimes commis en 1981, lorsque la famille de ces victimes avait été qualifiée de “subversive”.
Malgré son grand âge et son état de santé précaire, l’ancien chef d’état-major doit désormais répondre de son rôle présumé dans le génocide des Mayas ixils. Un crime pour lequel son frère, l’ex-dictateur Romeo Lucas Garcia, décédé en 2006, ne sera jamais jugé.
Les Mayas ixils, victimes d’un génocide
Pour les Mayas ixils, minorité indigène des hauts plateaux du Guatemala, ce procès est une étape cruciale vers la reconnaissance de leur tragédie. Entre 1978 et 1982, plus de 1200 membres de cette communauté ont été massacrés par les forces armées qui les considéraient comme des alliés de la guérilla. Hommes, femmes, enfants, personne n’a été épargné par cette folie meurtrière.
Après avoir été exécutées, ou dans certains cas encore vivantes, elles ont été brûlées.
– La procureure Mercedes Morales, à propos des victimes mayas ixils
Un génocide en règle, planifié et exécuté froidement par le régime militaire de l’époque. Une réalité longtemps niée, enfouie sous des décennies de déni et d’impunité. Mais aujourd’hui, pour la deuxième fois dans l’histoire du pays, la justice est appelée à reconnaître et condamner ce crime innommable.
Le précédent Rios Montt
En 2013 déjà, un autre procès pour génocide avait marqué les esprits. Celui de l’ancien dictateur Efrain Rios Montt, condamné à 80 ans de prison pour l’extermination des Mayas ixils. Une sentence historique, saluée comme une victoire pour les droits humains. Mais la joie fut de courte durée. Quelques jours plus tard, la plus haute juridiction du pays annulait le verdict pour vice de procédure. Rios Montt, lui, s’est éteint en 2018 à l’âge de 91 ans, emportant ses secrets dans la tombe.
Le procès de Benedicto Lucas Garcia offre donc une nouvelle chance à la justice de se prononcer sur ces crimes contre l’humanité. Une opportunité de faire la lumière sur l’un des chapitres les plus sombres de l’histoire guatémaltèque et d’offrir, enfin, une forme de réparation aux victimes et à leurs familles.
Une guerre civile dévastatrice
Car ce procès s’inscrit dans le cadre plus large de la guerre civile qui a ravagé le Guatemala pendant 36 longues années, de 1960 à 1996. Un conflit dévastateur qui a fait, selon l’ONU, plus de 200 000 morts et disparus. Parmi eux, 93% sont attribués aux forces de l’État et aux groupes paramilitaires qui leur étaient affiliés.
Massacres, disparitions forcées, viols, tortures… Les exactions commises pendant ces années noires ont laissé des cicatrices profondes dans la société guatémaltèque. Des blessures encore à vif, que seule la vérité et la justice peuvent espérer apaiser.
Un verdict très attendu
C’est tout l’enjeu de ce nouveau procès, dont le verdict est attendu la semaine prochaine. Si les juges suivent les réquisitions du parquet, Benedicto Lucas Garcia pourrait passer le restant de ses jours derrière les barreaux. Une peine largement symbolique au vu de son âge avancé, mais qui adresserait un message fort : au Guatemala, même des décennies plus tard, les responsables de génocide et de crimes contre l’humanité doivent rendre des comptes.
Un premier pas, crucial, sur le long chemin de la mémoire, de la vérité et de la réconciliation. Pour que les fantômes du passé cessent enfin de hanter le présent et que le Guatemala puisse se tourner, apaisé, vers l’avenir.