Le Canada vient de traverser un important conflit social qui a perturbé le quotidien de millions de citoyens à l’approche des fêtes de fin d’année. Pendant près d’un mois, les 55 000 employés de Postes Canada se sont mis en grève, bloquant ainsi l’acheminement de lettres et colis dans tout le pays. Face à l’impasse dans les négociations entre les postiers et leur direction, le gouvernement a finalement dû intervenir pour mettre fin au conflit. Retour sur les enjeux de cette grève et ses conséquences.
Des revendications salariales à l’origine du conflit
Tout a commencé le 15 novembre dernier lorsque le syndicat représentant les facteurs de Postes Canada a appelé ses adhérents à cesser le travail. Principal motif de colère : les salaires, jugés insuffisants par rapport à la charge de travail. Les grévistes réclamaient ainsi une augmentation de 19% sur 4 ans pour rattraper leur retard. De son côté, la direction proposait une hausse bien moindre et souhaitait surtout développer les embauches de personnel à temps partiel pour assurer les livraisons 7j/7.
Malgré plusieurs séances de négociations, aucun compromis n’a pu être trouvé entre les deux parties, au grand dam des Canadiens privés de courrier. Comme l’a résumé le ministre du Travail Steven MacKinnon, «les parties sont dans une impasse totale». Des «divergences importantes» persistaient sur les revalorisations salariales alors que Postes Canada, en déficit depuis 2018, argue de difficultés financières pour ne pas céder aux demandes syndicales.
Des millions de colis bloqués avant Noël
À l’approche de Noël, période cruciale pour les livraisons de cadeaux, l’impact de la grève s’est fait durement ressentir. D’après les estimations officielles, près de 190 000 passeports seraient restés bloqués, compromettant de nombreux projets de voyages pour les fêtes. Jouets, dons aux associations caritatives, cartes de vœux : des millions d’envois sont restés en souffrance dans les entrepôts.
Les régions éloignées, qui dépendent presque exclusivement de Postes Canada faute d’alternatives privées type UPS ou FedEx, ont été particulièrement touchées. Certains habitants du Grand Nord canadien n’ont ainsi pas reçu leurs médicaments essentiels, une situation très préoccupante sur le plan sanitaire. Les entreprises de vente en ligne ont également vu leurs commandes de Noël fortement perturbées, avec d’importantes répercussions financières à la clé.
Reprise forcée sur décision gouvernementale
Devant l’absence d’issue dans ce bras de fer et l’ampleur des perturbations, le gouvernement a choisi de forcer la reprise du travail. Le Conseil canadien des relations industrielles a ainsi ordonné vendredi dernier «la prolongation des conventions collectives actuelles» et la fin immédiate de la grève, une décision aussitôt dénoncée par le syndicat comme «une attaque contre le droit de grève et de négociation collective».
Le retour à la normale s’annonce progressif pour Postes Canada qui va devoir écluser le stock de courrier en souffrance tout en composant avec une ambiance sociale détériorée. Les pertes liées au conflit avoisineraient déjà les 100 millions de dollars pour l’entreprise publique, accentuant encore ses difficultés financières. Côté usagers, il faudra prendre son mal en patience avant de recevoir avec retard les envois espérés.
Un premier test social pour Trudeau
Pour le Premier ministre Justin Trudeau, cette grève constituait un premier test social d’envergure depuis sa réélection en octobre. Cherchant à ménager syndicats et patronat, le gouvernement libéral a d’abord laissé les parties négocier avant d’imposer une reprise du travail devenue inéluctable. Un arbitrage musclé qui risque de laisser des traces chez les postiers.
Plus globalement, ce conflit met en lumière les fragilités du modèle de Postes Canada, pris en étau entre une activité courrier en chute libre et une concurrence féroce sur les colis. Pour assurer la pérennité du service public postal et son adaptation aux nouveaux modes de consommation, une refonte en profondeur s’annonce nécessaire. Un défi de taille pour l’État actionnaire qui devra cette fois obtenir l’adhésion des principaux intéressés : les postiers.