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Grève à La Repubblica : Un Géant de la Presse Italienne en Passe sous Pavillon Grec

Les journalistes de La Repubblica sont en grève ce vendredi. Leur groupe va être vendu à un armateur grec sans expérience dans la presse. Que va devenir l’un des derniers bastions de la gauche italienne ? L’opposition crie au démantèlement, le gouvernement minimise…

Imaginez un journal qui, depuis près d’un demi-siècle, incarne la voix progressiste de l’Italie. Un quotidien lu par des millions de personnes, respecté même par ses adversaires. Et puis, du jour au lendemain, on annonce qu’il pourrait tomber entre les mains d’un armateur grec sans la moindre expérience dans les médias. C’est exactement ce qui arrive en ce moment à La Repubblica.

Une grève symbolique dans un paysage médiatique en pleine tempête

Ce vendredi, les rédactions du grand quotidien italien ont décidé de croiser les bras. Pas de journal papier, pas de site mis à jour : une grève totale pour proteser contre le projet de rachat de leur maison-mère, le groupe Gedi, par le groupe grec Antenna.

Le message est clair : les salariés refusent de voir leur avenir à un acteur étranger dont on ignore tout du projet éditorial. Ils parlent d’une « saison de lutte acharnée » pour défendre à la fois leurs emplois et l’identité même de leur titre.

« Nous sommes prêts à une saison de lutte acharnée pour défendre les droits des travailleuses et des travailleurs ainsi que l’identité de notre journal face à la cession à un groupe étranger sans aucune expérience dans un paysage éditorial italien déjà difficile, et dont le projet industriel est pour l’instant inconnu. »

Communiqué des journalistes de La Repubblica

Que possède exactement le groupe Gedi ?

Pour comprendre l’ampleur du séisme, il faut rappeler ce que représente Gedi dans le paysage italien. C’est tout simplement l’un des tout derniers grands groupes de presse indépendants du pays.

Dans son portefeuille :

  • Deux quotidiens nationaux majeurs : La Repubblica (orientation centre-gauche à gauche) et La Stampa (plutôt centre-gauche modéré)
  • De nombreux journaux locaux très implantés
  • Le site HuffPost Italia
  • Radio Deejay, l’une des radios privées les plus écoutées du pays
  • Plusieurs magazines et plateformes numériques

Autrement dit, Gedi n’est pas qu’un éditeur de journaux : c’est un acteur central de l’information et de la culture populaire italienne.

John Elkann, l’héritier Agnelli, veut sortir du capital

Depuis des années, la famille Agnelli, via sa holding Exor dirigée par John Elkann, cherchait à se désengager de la presse. Les marges sont faibles, les investissements numériques coûteux, et le secteur subit de plein fouet la crise de la publicité.

Les discussions avec le groupe Antenna, propriété de l’armateur grec Minos Kyriakou, seraient donc « avancées ». Le closing est prévu dans moins de deux mois, un calendrier extrêmement serré qui accentue l’inquiétude des salariés.

Un détail qui complique tout : La Stampa ne fait pas partie du deal

Les journalistes du quotidien turinois l’ont appris en même temps que tout le monde : leur titre, historiquement lié à la famille Agnelli (c’est le journal de Fiat à l’origine), n’intéresse pas l’acheteur grec.

Conséquence : avant de finaliser la vente de Gedi, Exor doit trouver un autre repreneur pour La Stampa. Un véritable casse-tête alors que le marché italien de la presse écrite est déjà saturé et peu rentable.

Une onde de choc politique immédiate

L’annonce a provoqué une vague de réactions à gauche comme à droite.

Elly Schlein, secrétaire nationale du Parti démocrate (PD), s’est dite « extrêmement préoccupée » par les risques d’« affaiblissement ou même de démantèlement d’un bastion fondamental de la démocratie ».

Même le président du Sénat, Ignazio La Russa (Fratelli d’Italia, le parti de Giorgia Meloni), a tenu à rappeler que « les propriétaires ont le droit de vendre, mais ni les anciens ni les nouveaux n’ont le droit d’imposer des lignes éditoriales univoques aux rédactions ».

La présidence du Conseil a convoqué les dirigeants de Gedi ce vendredi pour obtenir des précisions sur l’opération. Un signe que, même dans la majorité ultraconservatrice, on surveille de très près ce dossier.

Pourquoi cette vente inquiète-t-elle autant ?

En Italie, la concentration des médias est déjà un sujet brûlant. Ces dernières années, plusieurs titres indépendants ont disparu ou ont été rachetés par des industriels proches du pouvoir.

L’arrivée d’un acteur étranger, qui plus est sans expérience dans la presse, fait craindre :

  • Une possible réorientation éditoriale pour servir des intérêts économiques grecs ou internationaux
  • Des coupes budgétaires massives pour restaurer la rentabilité
  • Une perte d’influence des rédactions historiques au profit de logiques purement financières
  • La fin d’un certain pluralisme dans un pays où les voix critiques se font rares

L’histoire récente de la presse européenne montre que ces craintes ne sont pas infondées. Plusieurs journaux prestigieux ont vu leur ligne changer du tout au tout après un rachat par des fonds ou des industriels étrangers.

Et maintenant ?

Les prochaines semaines seront décisives. Les syndicats de journalistes promettent une mobilisation dure tant que des garanties claires n’auront pas été données sur l’indépendance éditoriale et le maintien des emplois.

Du côté d’Antenna Group, on reste discret. Aucun projet détaillé n’a filtré. On sait seulement que le groupe grec possède des chaînes de télévision et des radios dans les Balkans, mais rien qui se rapproche de l’audience ou du prestige des titres italiens.

Une chose est sûre : ce rachat, s’il aboutit, marquera un tournant dans l’histoire de la presse italienne. Reste à savoir s’il s’agira d’un tournant positif… ou du début d’une nouvelle ère de fragilisation du quatrième pouvoir.

À suivre de très près. Car quand un journal comme La Repubblica tremble, c’est toute la démocratie italienne qui vacille un peu.

(Article mis à jour en temps réel selon l’évolution du dossier)

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