Imaginez un petit pays de onze millions d’habitants qui, en quelques années à peine, devient la porte d’entrée privilégiée du gaz naturel liquéfié américain en Europe du Sud-Est. Un pays capable d’alimenter l’Ukraine en plein hiver malgré les bombardements russes, de contourner la dépendance au gaz de Moscou et, en même temps, d’inquiéter la présence chinoise dans un de ses ports stratégiques. Ce pays existe : c’est la Grèce.
Pourquoi Donald Trump voit la Grèce comme un hub énergétique crucial
L’ambassadrice des États-Unis en Grèce, Kimberly Guilfoyle, l’a dit sans détour dans une interview récente : « Pour le président Trump, la Grèce en tant que hub énergétique dans la région est très importante ». Cette phrase, loin d’être une simple formule de politesse diplomatique, résume parfaitement la nouvelle réalité géopolitique de la Méditerranée orientale.
Depuis l’invasion russe en Ukraine, l’Europe cherche désespérément à se libérer de sa dépendance aux hydrocarbures russes. Et la Grèce, grâce à sa position géographique et à des investissements massifs, est devenue un acteur incontournable de cette transition.
Le GNL américain débarque massivement en Grèce
Début novembre, Athènes a signé d’importants contrats avec des compagnies américaines pour accroître les livraisons de gaz naturel liquéfié. Les terminaux grecs, notamment celui de Revithoussa près d’Athènes et surtout le tout nouveau terminal flottant d’Alexandroupolis, reçoivent désormais régulièrement des méthaniers venus des États-Unis.
Le Premier ministre Kyriakos Mitsotakis l’avait annoncé clairement : la Grèce est « la porte d’entrée naturelle du GNL américain pour remplacer le gaz russe dans la région ». Des mots forts, suivis d’actes concrets.
L’indépendance énergétique équivaut à la sécurité nationale – et nous le voyons clairement dans le cas de l’Ukraine et de la Russie.
Kimberly Guilfoyle, ambassadrice des États-Unis en Grèce
Le corridor vertical : de la Grèce jusqu’à l’Ukraine
Grâce à la mise en service récente du gazoduc transbalkanique Grèce-Bulgarie, le gaz peut désormais circuler vers le nord. Ce nouveau corridor, baptisé corridor vertical, dessert :
- La Bulgarie
- La Roumanie
- La Moldavie
- L’Ukraine
- La Hongrie
- La Slovaquie
En clair, un seul terminal en Grèce peut aujourd’hui alimenter une grande partie de l’Europe centrale et orientale, là où le gaz russe régnait en maître il y a encore trois ans.
Et l’hiver 2025-2026 s’annonce particulièrement tendu pour Kiev : les frappes russes ont détruit une partie des infrastructures gazières ukrainiennes. Résultat ? Kyriakos Mitsotakis et Volodymyr Zelensky ont annoncé mi-novembre que la Grèce livrerait du GNL américain à l’Ukraine cet hiver. Un geste à la fois humanitaire et hautement stratégique.
Alexandroupolis, le nouveau joyau énergétique grec
Le port d’Alexandroupolis, situé à quelques kilomètres de la frontière turque, est en train de changer de visage. Un terminal flottant de regazéification (FSRU) y a été inauguré, capable de recevoir les plus gros méthaniers du monde.
Mais ce n’est pas tout. Des infrastructures de stockage souterrain sont en construction, et le port lui-même se modernise à grande vitesse. Objectif : faire d’Alexandroupolis un hub multimodal capable de redistribuer le gaz par pipeline, mais aussi par camion ou par train si nécessaire.
Pour Washington, c’est une réussite majeure : chaque cargaison de GNL américain qui débarque à Alexandroupolis affaiblit un peu plus l’emprise russe sur le marché énergétique régional.
Une alliance énergétique à quatre : Grèce, Chypre, Israël, États-Unis
Kimberly Guilfoyle a annoncé qu’une nouvelle réunion du format 3+1 (Grèce, Chypre, Israël + États-Unis) consacrée à l’énergie se tiendra à Washington au premier trimestre 2026.
Cette coopération, lancée il y a plusieurs années, prend aujourd’hui une dimension nouvelle avec la guerre en Ukraine et la nécessité de sécuriser des routes alternatives pour le gaz de la Méditerranée orientale (notamment le gisement Leviathan israélien).
Les entreprises américaines manifestent, selon l’ambassadrice, une « forte volonté d’investissement » en Grèce. Et cela ne se limite pas au gaz.
Le dossier sensible du Pirée et de la présence chinoise
Dans une interview télévisée, Kimberly Guilfoyle a qualifié la présence du géant chinois Cosco au Pirée de « malheureuse ». Cosco détient depuis 2016 les deux tiers du port du Pirée, l’un des plus importants de Méditerranée.
L’ambassadrice a même suggéré que « quelque chose pourrait être arrangé », allant jusqu’à évoquer une possible mise en vente du port. Des propos qui ont immédiatement provoqué la colère de l’ambassade de Chine à Athènes.
Le gouvernement grec a aussitôt tenu à calmer le jeu, rappelant que les contrats signés dans le passé seraient respectés. Mais parallèlement, le Parlement vient de voter une loi permettant à la société américaine Onex de développer massivement les chantiers navals d’Éleusis, juste à côté du Pirée.
Objectif affiché : créer un nouveau pôle maritime concurrent, capable d’attirer les investissements américains dans la réparation navale, la logistique portuaire et même la construction de navires militaires. Un message clair envoyé à Pékin.
En résumé, la Grèce d’aujourd’hui joue sur deux tableaux à la fois :
- Devenir le principal point d’entrée du GNL américain en Europe du Sud-Est
- Réduire l’influence économique chinoise dans ses infrastructures stratégiques
Tout cela sous le regard bienveillant regard bien de l’administration Trump.
Ce que cela change pour l’Europe et pour la région
La transformation de la Grèce en hub énergétique a des conséquences qui dépassent largement ses frontières. Elle contribue à :
- Réduire la dépendance européenne au gaz russe
- Renforcer la sécurité énergétique des Balkans et de l’Europe centrale
- Offrir une alternative crédible aux projets chinois dans la région (notamment la Belt and Road Initiative)
- Consolider l’axe Grèce-Israël-Chypre sous parapluie américain
Et pendant ce temps, la Russie voit son influence énergétique fondre comme neige au soleil en Europe du Sud-Est. Un revers stratégique majeur pour Moscou.
En conclusion, rarement un petit pays aura su transformer aussi rapidement sa géographie en atout géopolitique aussi puissant. La Grèce n’est plus seulement le berceau de la démocratie ou une destination touristique : elle est devenue, presque par surprise, un rouage essentiel de la nouvelle carte énergétique mondiale.
Et quelque chose nous dit que ce n’est qu’un début.









