Imaginez un projet qui promet de changer à jamais le paysage de l’athlétisme mondial. Des primes astronomiques, des stars alignées, un ancien champion olympique aux commandes. Et puis, en moins d’une année, tout s’effondre. C’est exactement ce qui est arrivé au Grand Slam Track en 2025.
Le Grand Slam Track : Un Rêve Ambitieux Qui S’est Brisé
L’idée était séduisante. Créer un circuit professionnel novateur, focalisé sur les épreuves de sprint et de demi-fond, avec des récompenses financières jamais vues dans la discipline. Des cachets qui faisaient rêver les athlètes, habitués à des gains bien plus modestes dans les meetings traditionnels.
Mais derrière les annonces tonitruantes et les signatures prestigieuses, la réalité a rapidement rattrapé l’ambition. Aujourd’hui, l’organisation se retrouve en procédure de faillite, laissant derrière elle des athlètes en attente de paiement et un milieu de l’athlétisme sous le choc.
Les Promesses d’une Révolution Financière
Dès le départ, le discours tournait autour d’un mot : l’argent. Chaque vainqueur d’étape devait empocher 100 000 dollars. Au total, plus de 12 millions de dollars étaient annoncés pour la saison. Pour un sport où les meilleurs peinent souvent à vivre décemment de leur passion, cela ressemblait à une véritable révolution.
Les têtes d’affiche n’ont pas tardé à signer. Une championne olympique américaine, véritable icône de la discipline, a été la première à s’engager, donnant une crédibilité immédiate au projet. D’autres stars internationales ont suivi, attirées par ces perspectives financières inédites.
Le fondateur, une légende du sprint des années 1990-2000, multipliait les interviews confiantes. Il assurait avoir levé 30 millions de dollars en un an. Des investisseurs solides, des partenaires de diffusion, tout semblait en place pour bâtir quelque chose de durable.
« Nous sommes bâtis pour durer. »
Ces mots résonnent différemment aujourd’hui.
Les Premiers Signes de Fragilité
Le lancement a eu lieu à Kingston, en Jamaïque. Mais dès cette première étape, les fissures sont apparues. Les tribunes étaient clairsemées, l’exposition médiatique limitée, les audiences décevantes. Un sponsor majeur s’est même retiré juste après cet événement inaugural.
Le deuxième meeting, en Floride, n’a pas inversé la tendance. Malgré une communication soignée sur les réseaux sociaux, les dépenses restaient énormes : logistique internationale, production télévisuelle haut de gamme, cachets élevés. Les recettes, elles, ne suivaient pas.
Les athlètes commençaient à murmurer. Les primes d’engagement et les prize money promis n’étaient versés qu’à moitié. Certains, notamment les Français, ont reçu un peu plus de 50 % grâce à des particularités fiscales, mais le second versement restait bloqué.
L’Annulation Brutale et la Pause Forcée
Le coup de grâce est arrivé mi-juin. À deux semaines de l’échéance, la finale prévue à Los Angeles a été purement et simplement annulée. La trésorerie ne permettait plus d’organiser l’événement. La dette atteignait déjà 19 millions de dollars.
En août, le fondateur annonçait une pause du circuit. Il promettait de ne reprendre qu’une fois toutes les parties payées. Dans le même temps, il évoquait déjà 2026 avec de nouveaux sponsors potentiels. Un optimisme qui contrastait avec la réalité financière.
En octobre, un versement d’urgence de 5,5 millions de dollars a permis d’apaiser temporairement les athlètes. Mais cela restait insuffisant pour couvrir l’ensemble des engagements.
La Faillite sous Chapitre 11 : Une Protection, Pas une Fin
Le dénouement est arrivé en décembre. L’organisation s’est placée sous le régime du chapitre 11 de la loi américaine sur les faillites. Ce mécanisme permet de continuer à fonctionner tout en restructurant les dettes sous contrôle judiciaire, et en gelant les poursuites des créanciers.
Dans son communiqué, la ligue se voulait rassurante. Elle présentait cette procédure comme un moyen de positionner le projet pour un succès à long terme. Pas la fin, mais une étape nécessaire vers une renaissance possible.
Cependant, les experts restent prudents. Les athlètes ne sont qu’une ligne parmi d’autres dans la liste des créanciers. Rien ne garantit qu’ils seront intégralement remboursés. La dette restante dépasse les 10 millions de dollars envers les sportifs et les fournisseurs.
Les Refus de World Athletics et des Créanciers
Fin novembre, la fédération internationale a rejeté une proposition de règlement à 50 % des dettes. Elle exigeait que les athlètes soient payés en priorité avant toute négociation. La ligue avait tenté d’imposer un accord similaire à l’ensemble des créanciers, sous peine de dépôt de bilan.
Cette stratégie n’a pas fonctionné. L’intérêt d’un éventuel repreneur était conditionné à un assainissement préalable de la dette, mais sans consensus, la faillite est devenue inévitable.
Un Modèle Économique Trop Fragile
Avec le recul, plusieurs éléments expliquent cet échec rapide. Le projet s’est lancé trop vite, sans sécuriser des financements solides sur plusieurs saisons. Les sponsors arrivaient au dernier moment, les audiences ne décollaient pas.
Le focus exclusif sur sprint et demi-fond, associé à une communication parfois perçue comme trop clinquante, a divisé la communauté de l’athlétisme. Certains y voyaient une bouffée d’air frais, d’autres un modèle trop éloigné des valeurs traditionnelles du sport.
Les coûts opérationnels étaient énormes, alors que les recettes dépendaient fortement de partenaires volatils. Un seul retrait de sponsor majeur pouvait tout faire basculer.
Les chiffres clés du naufrage :
- Financement annoncé initial : 30 millions de dollars
- Dette maximale atteinte : 19 millions de dollars
- Primes totales promises : plus de 12 millions de dollars
- Versements effectués : environ 50 %
- Dette restante envers athlètes et fournisseurs : plus de 10 millions de dollars
Les Conséquences pour les Athlètes
Les sportifs sont les premières victimes. Des sommes à six chiffres étaient en jeu pour les meilleurs. Aujourd’hui, ils attendent encore la moitié de leurs gains. Certains ont engagé des frais importants pour participer, sans retour financier complet.
Un hurdle français engagé sur le circuit illustre cette situation. Il a perçu un peu plus de 50 % grâce à des spécificités fiscales, mais le reste demeure incertain. Comme lui, de nombreux athlètes se retrouvent dans l’attente.
Cette affaire rappelle cruellement que dans le sport professionnel, la stabilité financière n’est jamais acquise. Même avec les plus belles promesses.
La Diamond League, Valeur Refuge
En parallèle, le circuit historique a renforcé sa position. Elle a augmenté ses prize money en 2025, tout en conservant sa stabilité. Moins spectaculaire peut-être, mais fiable. Pour beaucoup d’athlètes, elle fait désormais figure de valeur sûre.
D’autres initiatives émergent, comme un meeting 100 % féminin qui ambitionne de devenir un circuit en 2026. Mais l’exemple du Grand Slam Track sert d’avertissement : sans capital massif et sécurisé, les projets les plus ambitieux exposent les sportifs à des risques importants.
Quel Avenir pour les Circuits Privés en Athlétisme ?
Cette histoire pose des questions plus larges. L’athlétisme peut-il supporter plusieurs circuits professionnels concurrents ? Le modèle économique basé sur des prize money élevés est-il viable sans une base solide d’investisseurs à long terme ?
Le chapitre 11 offre une possibilité de survie ou de revente. Un repreneur pourrait émerger, attiré par le concept innovant et les performances réalisées lors des meetings organisés. La présentation moderne, le storytelling soigné, les courses de haut niveau : tout n’était pas à jeter.
Mais la confiance est ébranlée. Les athlètes hésiteront désormais avant de s’engager dans des projets similaires sans garanties financières béton.
2025 aura marqué l’athlétisme par cet épisode contrasté. Un projet qui a fait rêver, qui a produit des performances mémorables, mais qui s’est finalement brisé sur la réalité économique. Une leçon pour l’avenir du sport professionnel.
Le milieu retient son souffle. Le Grand Slam Track renaîtra-t-il de ses cendres en 2026 ? Ou restera-t-il comme un avertissement pour toutes les ambitions trop rapides ? L’histoire n’est peut-être pas totalement terminée.
Ce qui est certain, c’est que cette saga aura marqué les esprits. Elle rappelle que derrière les médailles et les records, le sport de haut niveau reste un business fragile, où les rêves peuvent se transformer en cauchemars en quelques mois seulement.









