Imaginez la scène : un ancien chef d’État, condamné à quarante-cinq ans de prison aux États-Unis pour avoir transformé son pays en autoroute géante de la cocaïne, sort libre. Pas grâce à un vice de procédure ou à un revirement judiciaire. Non. Grâce à un simple coup de stylo de Donald Trump. L’histoire de Juan Orlando Hernández, que les Honduriens appellent encore « JOH », est tellement ahurissante qu’elle semble sortie d’une série Netflix. Et pourtant, elle est bien réelle.
Une grâce qui fait trembler l’Amérique centrale
Mardi dernier, l’administration Trump a officiellement annoncé la grâce totale de l’ancien président du Honduras. Deux petites années après sa condamnation définitive pour trafic international de stupéfiants à très grande échelle. Un revirement qui laisse pantoise l’opinion publique, surtout quand on sait que Trump vient de déployer des moyens militaires colossaux dans les Caraïbes pour « écraser » le narcotrafic, notamment en pointant du doigt le Venezuela.
Le contraste est brutal. D’un côté, des navires de guerre et des opérations spéciales. De l’autre, la libération d’un homme reconnu coupable d’avoir personnellement protégé l’acheminement de plus de cinq cents tonnes de cocaïne vers le territoire américain. Cinq cents tonnes. Le chiffre donne le vertige.
De héros anti-drogue à narco-président
Pendant huit ans, Juan Orlando Hernández s’est présenté comme le rempart ultime contre les cartels. Il vantait la baisse spectaculaire des homicides, l’extradition de dizaines de trafiquants vers les États-Unis, la lutte acharnée contre les terribles « maras ». À l’étranger, on le citait en exemple. À Washington, on le recevait en allié précieux.
Puis tout s’est effondré. En mars 2022, la justice américaine a démontré noir sur blanc que ce même président recevait des millions de dollars des plus grands cartels, dont celui de Sinaloa dirigé par Joaquín « El Chapo » Guzmán. Mieux : des témoins ont rapporté qu’il se vantait de vouloir « mettre la drogue dans le nez des gringos » sans qu’ils s’en rendent compte.
« Je suis innocent, victime d’une vengeance et d’un complot »
Juan Orlando Hernández, dans une lettre manuscrite depuis sa cellule
Cette phrase, écrite de sa main alors qu’il épuisait ses derniers recours, résonne aujourd’hui comme une ironie tragique.
Le Honduras, super-autoroute de la cocaïne
Pendant la présidence Hernández, le Honduras est devenu, selon les termes mêmes des procureurs fédéraux américains, une véritable « narco-autoroute ». Les avions en provenance de Colombie et du Venezuela atterrissaient en toute impunité sur des pistes clandestines. Les convois traversaient le pays sous protection militaire. Les ports expédiaient des conteneurs blindés de poudre blanche vers les côtes américaines.
Et au milieu de tout cela, un président qui touchait sa part. Des valises de billets livrées directement au palais présidentiel. Des financements de campagne électorale en provenance directe des cartels. Un système où la corruption n’était plus un vice, mais la règle.
Les chiffres accablants du procès américain :
- Plus de 500 tonnes de cocaïne écoulées vers les États-Unis entre 2004 et 2022
- Des millions de dollars de pots-de-vin versés personnellement à JOH
- Protection active des routes terrestres, maritimes et aériennes du trafic
- Collaboration directe avec le cartel de Sinaloa et d’autres organisations
L’ingérence américaine à visage découvert
Mais alors, pourquoi cette grâce ? La réponse se trouve du côté de l’élection présidentielle hondurienne qui bat son plein en ce moment même. Donald Trump n’a jamais caché son intention de peser de tout son poids sur le scrutin. Son candidat favori ? Nasry Asfura, héritier direct du Parti national fondé par Hernández.
Pour l’administration Trump, libérer JOH apparaît comme un signal fort envoyé aux électeurs honduriens : « Votez pour notre homme, et nous rendons leur leader historique à la liberté ». Une forme d’ingérence brutale, presque assumée, dans un pays considéré depuis toujours comme la chasse gardée des États-Unis en Amérique centrale.
Le calcul est cynique mais limpide. Même si Asfura est actuellement au coude-à-coude avec Salvador Nasralla – un candidat que Trump a publiquement qualifié de « non fiable » –, la libération de Hernández pourrait faire basculer les indécis et les nostalgiques du Parti national.
Portrait d’un homme aux deux visages
Né en 1968 dans une famille modeste de l’ouest du pays, Juan Orlando Hernández a toujours cultivé l’image du self-made-man. Études de droit, master à New York, carrière d’entrepreneur agricole, entrée en politique à 30 ans à peine. Physique d’athlète, sourire éclatant, discours rodés. Il avait tout du président moderne.
Son parcours politique est jalonné de moments controversés. En 2009, il soutient sans ambiguïté le coup d’État contre le président de gauche Manuel Zelaya. En 2017, il force la réélection malgré l’interdiction constitutionnelle, dans un scrutin entaché de fraudes massives et suivi de manifestations violemment réprimées.
Mais c’est surtout son double discours sur la drogue qui restera dans les mémoires. Celui qui extradait des trafiquants d’une main signait, de l’autre, des accords secrets avec les mêmes cartels. Un numéro d’équilibriste qui a fini par s’effondrer sous le poids des preuves accumulées par la DEA.
Les conséquences d’une décision explosive
La grâce présidentielle accordée à Hernández envoie un message devastateur à toute l’Amérique latine. Elle suggère que les alliances politiques peuvent primer sur la lutte contre le narcotrafic. Que les condamnations américaines, même les plus lourdes, peuvent être effacées d’un trait de plume quand les intérêts géopolitiques l’exigent.
Au Honduras, la colère gronde déjà. Les familles des milliers de victimes de la violence liée au trafic se sentent trahies. Les opposants dénoncent une recolonisation décomplexée. Et dans les quartiers contrôlés par les maras, on murmure que le retour possible de JOH pourrait relancer la guerre des territoires.
Quant aux États-Unis, cette décision risque de miner durablement la crédibilité de leur discours anti-drogue. Comment exiger des autres pays qu’ils luttent contre les cartels quand Washington libère l’un des plus hauts responsables jamais condamnés ?
Vers un retour en politique ?
Rien n’interdit légalement à Juan Orlando Hernández de revenir au Honduras et, pourquoi pas, de reprendre une influence politique. Âgé de 57 ans seulement, il conserve une base fidèle au sein du Parti national et parmi certains secteurs de l’armée et de la police.
Son retour sur la scène publique, même en coulisses, pourrait bouleverser l’équilibre déjà fragile du pays. Surtout si son poulain Nasry Asfura l’emporte finalement à la présidentielle. On parlerait alors d’un comeback politique parmi les plus spectaculaires de l’histoire récente d’Amérique latine.
L’histoire de Juan Orlando Hernández n’est peut-être pas terminée. Elle vient de prendre un tournant que personne n’aurait osé imaginer il y a encore quelques mois. Entre realpolitik cynique et scandale international, elle illustre à merveille les zones grises où se croisent pouvoir, argent sale et intérêts nationaux.
Une chose est sûre : dans les rues de Tegucigalpa comme dans les couloirs de Washington, on n’a pas fini de parler de « JOH ».









