À l’approche des élections législatives, l’hypothèse d’une Assemblée nationale morcelée, sans majorité claire, se précise. Aucun groupe politique ne serait alors en mesure de gouverner seul. Face à ce risque de paralysie institutionnelle, certains avancent une solution audacieuse : s’inspirer de la démocratie directe, à la mode suisse ou athénienne, en gouvernant par référendums. Une option à considérer sérieusement ?
Le spectre d’une Assemblée ingouvernable
Les derniers sondages le confirment : le prochain scrutin législatif pourrait aboutir à une Assemblée nationale introuvable, où aucune force ne détiendrait de majorité suffisante, même relative, pour gouverner. Le parti présidentiel, contraint de composer avec l’opposition, ne serait plus en mesure d’imposer seul sa politique comme depuis 2022.
Ce blocage pourrait s’installer durablement. En effet, une nouvelle dissolution ne serait pas possible avant un an. Même après ce délai, rien ne garantit qu’un retour aux urnes change la donne. De même, une démission du président de la République ne résoudrait en rien cette équation parlementaire insoluble.
Une coalition à l’allemande improbable
Pour sortir de l’ornière, certains évoquent la piste d’un gouvernement de coalition rassemblant plusieurs partis, sur le modèle allemand. Mais dans un paysage politique français particulièrement polarisé, un tel grand coalition en scellant une entente, comme une grande union nationale droite-gauche par exemple,suscite peu d’enthousiasme. Pour de nombreux partis, il s’agirait d’une atteinte profonde à leur identité, au risque de décevoir voire braquer leurs électeurs.
Le recours au référendum, une alternative ?
Face à cette impasse, une autre voie est avancée par certains constitutionnalistes et politologues : celle du référendum. En cas de blocage persistant au Parlement, l’exécutif pourrait ainsi contourner les députés en consultant directement les Français sur les grands sujets.
Un tel scénario n’est pas inédit sous la Ve République, le Général de Gaulle y ayant recouru à 5 reprises. Mais systématiser cet usage reviendrait à bouleverser l’équilibre des institutions, en court-circuitant le rôle délibératif de l’Assemblée nationale au profit d’une relation verticale gouvernants-gouvernés.
S’inspirer de l’exemple helvétique
Avant d’enterrer trop vite cette option, il convient d’examiner quelques expériences étrangères de démocratie directe. La plus éclairante est sans doute celle de la Suisse. La Confédération helvétique a en effet érigé le référendum en mode de gouvernement à part entière.
Outre les votations obligatoires pour toute révision constitutionnelle, les citoyens suisses disposent d’un véritable pouvoir d’initiative. En rassemblant 100 000 signatures, ils peuvent soumettre au vote populaire toute proposition de loi ou modification de la Constitution. Cette menace référendaire incite le Parlement à la modération et au compromis, sous peine de voir ses décisions désavouées dans les urnes.
La démocratie suisse n’est pas un long fleuve tranquille, mais un torrent impétueux qui oblige les élus à rendre des comptes en permanence.
Denis de Rougemont, écrivain et philosophe suisse
Le mirage de la cité athénienne
Autre source d’inspiration pour les thuriféraires de la démocratie directe : l’exemple de la cité antique d’Athènes. Au Ve siècle avant JC, les citoyens athéniens se réunissaient plusieurs fois par mois sur la colline de la Pnyx pour débattre et voter les lois.
Mais cette analogie a ses limites. La citoyenneté athénienne excluait les femmes, les esclaves et les étrangers. Les institutions de la cité ne concernaient donc qu’une petite minorité d’hommes libres, rendant plus aisée la participation de tous aux affaires publiques. Un modèle difficilement transposable aux États-nations modernes et leur corps électoral de masse.
Les écueils d’un gouvernement par référendums
Gouverner à coups de référendums soulève d’autres objections de fond. Cette pratique fait peu de cas de la complexité de nombreux sujets, réduits à une alternative binaire pour ou contre. Elle ouvre aussi la porte aux démagogues prompt à flatter les instincts de la foule. Enfin, la tentation sera grande pour un exécutif de détourner l’outil référendaire pour court-circuiter toute opposition et faire avaliser des décisions contestées.
Il faut se garder de voir dans le référendum un remède miracle aux blocages institutionnels. C’est une arme à double tranchant, qui peut servir la démocratie comme la vider de sa substance.
Pierre Rosanvallon, historien et sociologue
Repenser le rôle du Parlement
Pour autant, ces réserves ne doivent pas conduire à écarter d’emblée toute évolution de nos institutions dans un sens plus participatif. En cas d’Assemblée nationale durablement paralysée, une dose mesurée de démocratie directe pourrait utilement compléter – et non supplanter – la démocratie représentative.
Plutôt que d’opposer référendum et Parlement, il conviendrait de réfléchir à une meilleure articulation entre les deux. Le recours ponctuel au vote populaire pourrait ainsi débloquer une situation de crise, à condition d’être strictement encadré. En parallèle, les droits de l’opposition devraient être renforcés pour éviter la tyrannie de la majorité et valoriser le travail parlementaire.
Ces pistes traduisent l’aspiration des citoyens à peser davantage sur les choix collectifs, au-delà du seul bulletin de vote glissé dans l’urne tous les 5 ans. Un défi démocratique que les prochaines législatives, si elles débouchent sur une Assemblée ingouvernable, remettront au premier plan. À la classe politique, alors, d’entendre ce signal et d’y apporter une réponse à la hauteur des enjeux.