Face au risque de déclassement qui menace l’Europe, saura-t-on trouver à Bruxelles les clés d’une relance salutaire ? C’est tout l’enjeu du rapport que vient de remettre l’ancien président de la Banque centrale européenne Mario Draghi à la Commission européenne. Intitulé « L’avenir de la compétitivité européenne », ce document de 50 pages dresse un constat sans concession de la perte de vitesse du Vieux Continent, avant de formuler des pistes pour enrayer ce déclin annoncé.
Une Europe à la traîne
Premier enseignement du rapport Draghi, l’Europe souffre d’un déficit d’investissement patent, notamment dans l’industrie. Alors que les Européens épargnent davantage que les Américains, ces derniers investissent bien plus dans l’appareil productif. Résultat, la part de l’industrie manufacturière dans le PIB ne cesse de reculer en Europe, passant sous la barre des 10% dans certains pays comme la France. Un phénomène qui nourrit les déficits commerciaux et menace à terme le niveau de vie des Européens, prévient Mario Draghi :
Si l’Europe ne parvient pas à devenir plus productive, nous serons contraints de faire des choix… Nous ne pourrons pas financer notre modèle social. Nous devrons revoir à la baisse certaines, voire toutes nos ambitions.
Mario Draghi, dans son rapport “L’avenir de la compétitivité européenne”
750 milliards d’euros d’investissements nécessaires chaque année
Pour stopper cette spirale négative, le rapport préconise un effort d’investissement massif. Selon ses calculs, les pays de l’UE devraient investir chaque année entre 750 et 800 milliards d’euros supplémentaires, soit près de 5 points de PIB, dans les infrastructures, la R&D, la formation ou encore la transition écologique. Un montant considérable qui nécessiterait de revoir en profondeur les règles budgétaires européennes, juge l’ancien banquier central, partisan assumé d’une plus grande flexibilité.
Réorienter l’épargne vers l’économie productive
Autre levier identifié par Mario Draghi pour réindustrialiser l’Europe : une meilleure allocation de l’épargne. Aujourd’hui, trop de liquidités dormantes sur les comptes bancaires ou investies dans l’immobilier ne profitent pas à l’économie réelle. Le rapport invite donc à finaliser d’urgence l’Union des marchés de capitaux, ce projet visant à fluidifier la circulation de l’épargne en Europe, afin de la diriger vers les entreprises et les projets les plus porteurs.
Miser sur une stratégie commune
Au-delà des mesures techniques, Mario Draghi appelle surtout de ses vœux un véritable sursaut politique en Europe. Jugeant le cadre actuel trop rigide et compartimenté, il plaide pour une approche beaucoup plus intégrée :
- Une politique industrielle coordonnée identifiant des secteurs clés et y concentrant les moyens
- Des investissements publics communautaires financés par l’émission de dettes communes
- Un Trésor européen capable de mener une politique économique à l’échelle du continent
Autant d’options ambitieuses, impliquant des transferts de souveraineté vers Bruxelles, mais qui constitueraient selon Mario Draghi la clé pour restaurer la compétitivité du Vieux Continent face aux géants américains et chinois. Il appelle les États-membres, au premier rang desquels l’Allemagne, à dépasser leurs égoïsmes nationaux et leurs dogmes pour s’engager résolument dans cette voie.
L’avenir du gouvernement Barnier en jeu
Si elle ne révolutionne pas la pensée économique, cette feuille de route a le mérite de poser clairement les enjeux. Alors que le gouvernement Barnier s’apprête à négocier son premier budget avec la Commission européenne, saura-t-il convaincre ses partenaires d’assouplir les règles pour dégager les marges de manœuvre nécessaires à la réindustrialisation du pays ? Rien n’est moins sûr tant les résistances restent fortes, notamment outre-Rhin. Mais comme le souligne l’auteur du rapport en conclusion :
Aujourd’hui, l’Union européenne est confrontée à un défi existentiel. Nos partenaires prendront-ils le risque d’un appauvrissement de l’UE, suivi d’un éclatement de la zone euro, à seule fin de se conformer à tout prix à l’orthodoxie monétaire ?
Mario Draghi
Un avertissement que le chef du gouvernement français espère voir entendu à Bruxelles. Même si le temps risque de lui manquer pour mener à bien ces réformes, Michel Barnier pourrait ainsi rester dans l’Histoire comme celui qui aura ouvert la voie à une véritable politique économique européenne. L’ancien négociateur en chef du Brexit en a-t-il encore la force à soixante-dix printemps passés ?