Les choses se corsent pour Google. Déjà reconnu coupable de pratiques anticoncurrentielles, le géant de Mountain View pourrait être contraint de vendre Chrome, son navigateur star, voire même Android, son système d’exploitation mobile. C’est en tout cas ce que préconise le département de la Justice américain dans ses recommandations au juge en charge de l’affaire. Une prise de position historique qui fait l’effet d’un séisme dans la Silicon Valley.
Google dans le collimateur des autorités
L’été dernier, le juge fédéral de Washington Amit Mehta a estimé que Google avait enfreint la loi en abusant de sa position dominante pour maintenir son monopole sur la recherche en ligne. Au cœur des griefs : les accords passés avec les fabricants de smartphones, les opérateurs télécoms et les éditeurs de navigateurs pour imposer Google comme moteur par défaut. Des pratiques qui ont coûté des dizaines de milliards de dollars à l’entreprise, mais qui lui ont permis de s’assurer une place de choix sur des millions de terminaux.
Quand Microsoft montrait la voie
Cette offensive contre Google n’est pas sans rappeler le procès antitrust intenté à Microsoft il y a 25 ans. À l’époque déjà, les autorités s’inquiétaient de la mainmise de la firme de Redmond sur le marché des logiciels. Avec un quasi-monopole de Windows et une intégration poussée d’Internet Explorer, Microsoft avait fini par s’attirer les foudres de la justice. Un précédent qui pourrait bien servir de feuille de route dans le dossier Google.
Ce qui est en jeu, c’est le futur de l’économie numérique, avec des conséquences potentiellement immenses pour les consommateurs et l’innovation.
Lina Khan, présidente de la Federal Trade Commission
Chrome et Android, pièces maîtresses de l’empire
En demandant à Google de se séparer de Chrome et d’Android, le gouvernement espère casser la dynamique qui permet à l’entreprise de dominer la recherche en ligne. Chrome, c’est aujourd’hui plus de 60% des parts du marché des navigateurs. Quant à Android, il équipe plus de 80% des smartphones dans le monde. Autant dire que leur contrôle offre à Google un levier considérable pour orienter les utilisateurs vers ses propres services.
- Chrome représente plus de 60% des parts du marché des navigateurs
- Android équipe plus de 80% des smartphones dans le monde
Et après ? Les scénarios possibles
Si Google venait à être démembré, le paysage tech pourrait être profondément bouleversé. D’un côté, on peut imaginer une diversification accrue de l’offre, avec de nouveaux acteurs capables de rivaliser à armes égales avec le search engine. Mais certains craignent aussi un affaiblissement de l’écosystème Google, au détriment de l’expérience utilisateur. Une chose est sûre : le feuilleton judiciaire est loin d’être terminé. Selon des sources proches du dossier, Google compte bien faire appel de la décision, quelle qu’elle soit. Affaire à suivre, donc.
L’avis des experts
Pour Sarah Johnson, analyste chez Forrester Research, un démantèlement de Google serait un tremblement de terre avec des répliques sur tout le secteur technologique :
On entre en territoire inconnu. Séparer Chrome et Android de la maison-mère, c’est prendre le risque de casser une machine qui, certes, pose des problèmes de concurrence, mais qui fonctionne plutôt bien pour le grand public. Il faudra être très vigilant aux effets collatéraux.
Sarah Johnson
Thomas Eisenhower, avocat spécialiste des questions d’antitrust, voit plutôt l’opportunité de remettre de la concurrence dans un marché verrouillé :
Briser les monopoles, c’est donner de l’oxygène à l’innovation. On l’a vu dans le passé avec le démembrement d’AT&T qui a pavé la voie à la révolution du mobile. Idem quand la justice s’est attaquée à Microsoft : cela a profité à Google, Apple ou Amazon. La vraie question, c’est de savoir si les autorités iront au bout. Les lobbys de la tech sont puissants…
Thomas Eisenhower
Une certitude en tout cas : le dossier Google représente un test grandeur nature pour la capacité du politique à réguler les géants du numérique. Un enjeu crucial à l’heure de la “plateformisation” de l’économie. Les prochains mois s’annoncent décisifs.