C’est une nouvelle bataille judiciaire qui s’ouvre dans le conflit israélo-palestinien. Selon des informations obtenues par une source proche du dossier, deux plaintes retentissantes pour « complicité de génocide » ont été déposées mardi et mercredi à Paris contre des responsables français d’associations pro-Israël. Les plaignants les accusent notamment d’avoir délibérément empêché l’acheminement de l’aide humanitaire vers la bande de Gaza, soumise à un blocus israélien depuis de nombreuses années.
Des associations pro-Israël dans le viseur de la justice française
La première plainte a été déposée mardi par l’Union juive française pour la paix (UFJP) et « une victime franco-palestinienne », avec le soutien de l’organisation Urgence Palestine. Visant nommément des figures des associations « Israël is forever » et « Tzav-9 », présentées comme de nationalité française, les plaignants dénoncent « l’organisation, la participation et l’appel à participer à des actions concrètes de blocage de l’aide humanitaire à destination du territoire occupé de Gaza, notamment en empêchant physiquement le passage des camions aux postes frontières contrôlés par l’armée israélienne ».
Une seconde plainte, cette fois de l’association Avocats pour la Justice au Proche-Orient et de la Coordination des appels pour une paix juste au Proche-Orient (CAPJPO) – Europalestine, a suivi mercredi, s’appuyant sur des photos, vidéos et déclarations publiques pour mettre en cause les mêmes responsables associatifs.
La « complicité de génocide », une qualification juridique choc
Pour les avocats des plaignants, ces actes relèvent clairement de la « complicité de génocide ». Mes Damia Taharraoui et Marion Lafouge, conseil de l’UFJP, soulignent ainsi que « cette soumission délibérée de la population gazaouie à des conditions d’existence de nature à entraîner sa destruction, et plus particulièrement l’utilisation de la famine, caractérise, tant selon le droit international que selon le droit français, le crime de génocide ». Une analyse partagée par Mes Matteo Bonaglia et Ala Adas, avocats des deux autres associations plaignantes, pour qui « l’infraction de complicité de génocide apparaît être l’expression pénale la plus juste ».
Si la qualification juridique de génocide peut choquer, elle est ici la plus appropriée au regard des faits commis (…). Il est essentiel de nommer précisément ce qui est en train de se passer.
Mes Damia Taharraoui et Marion Lafouge, avocates de l’UFJP
Une procédure judiciaire semée d’embûches
Ces plaintes avec constitution de partie civile visent à saisir un juge d’instruction, mais la route sera longue. En septembre dernier, le Parquet national antiterroriste (Pnat) avait classé sans suite une plainte similaire dénonçant des tortures imputées à un Franco-israélien sur des Palestiniens. Le Pnat a toutefois ouvert une enquête pour « assassinats terroristes » concernant l’attaque du Hamas du 7 octobre.
De son côté, Israël conteste vigoureusement ces accusations de génocide, martelant son « droit de défendre sa population » et pointant du doigt l’utilisation de « boucliers humains » par le Hamas. Mais la pression internationale s’accroît. Mi-novembre, un comité spécial de l’ONU a estimé que les méthodes de guerre israéliennes à Gaza « correspondent aux caractéristiques d’un génocide ». Et le 26 janvier, la Cour internationale de justice a demandé à l’État hébreu de « faire son possible pour empêcher tout acte de génocide » lors de ses opérations.
La Cour pénale internationale s’invite dans le conflit
Dans une escalade judiciaire sans précédent, la Cour pénale internationale (CPI) est même entrée dans la danse le 21 novembre, émettant des mandats d’arrêt contre plusieurs dirigeants israéliens et palestiniens, dont le Premier ministre Benjamin Netanyahu lui-même, pour « crimes de guerre » et « crimes contre l’humanité ». Une décision historique qu’Israël a immédiatement annoncé vouloir contester en appel.
En attendant, la position de la France reste ambiguë. Si Paris a affirmé mercredi que Benjamin Netanyahu bénéficiait d’une « immunité » qui devait « être prise en considération », elle n’a pas commenté sur le fond des accusations portées par les plaignants français. Une prudence qui en dit long sur la sensibilité extrême du sujet, au cœur de l’un des conflits les plus enkystés de la planète.
Un nouveau front dans la bataille de l’opinion
Au-delà des prétoires, c’est aussi sur le terrain de la communication que se joue ce bras de fer. Pour les associations pro-palestiniennes, ces plaintes sont un moyen de braquer les projecteurs sur le sort des Gazaouis, soumis à un blocus qualifié de « plus grande prison à ciel ouvert du monde ». Un narratif fermement rejeté par les soutiens d’Israël, qui dénoncent une « diabolisation » de l’État hébreu et une occultation des menaces sécuritaires auxquelles il fait face.
Une chose est sûre : à l’heure où le conflit israélo-palestinien semble plus enlisé que jamais sur le terrain diplomatique et sécuritaire, l’arène judiciaire pourrait bien devenir un nouveau champ de bataille crucial. Avec ces plaintes, les associations pro-palestiniennes espèrent faire pencher la balance en leur faveur, quitte à bousculer certains tabous. Reste à savoir si la justice française osera s’aventurer sur ce terrain miné.