Imaginez un bébé de deux mois dont le cœur bat à travers une malformation si grave que chaque jour passé à Gaza peut être le dernier. Imaginez des milliers d’autres, enfants comme adultes, inscrits sur des listes d’attente qui s’allongent tandis que les refus et les lenteurs administratives s’accumulent. C’est la réalité quotidienne que dénonce Médecins Sans Frontières.
Une crise sanitaire qui dépasse largement les chiffres officiels
L’Organisation mondiale de la santé recense plus de 16 500 patients en attente officielle d’évacuation hors de la bande de Gaza. Mais ce nombre ne représente qu’une fraction de la réalité, selon les responsables humanitaires sur le terrain.
Les estimations les plus sérieuses parlent plutôt de trois à quatre fois plus de personnes nécessitant une sortie médicale urgente. Autrement dit, entre 50 000 et 70 000 Gazaouis se trouvent aujourd’hui dans une situation où leur vie dépend d’une décision administrative prise à des milliers de kilomètres.
Plus de 900 morts déjà recensés en attendant
Le chiffre est difficile à entendre : plus de 900 personnes sont déjà décédées depuis octobre 2023 parce qu’elles n’ont pas pu être évacuées à temps. Et ce bilan, déjà dramatique, est très probablement sous-estimé.
Derrière chaque numéro se cache une histoire. Un enfant atteint d’un cancer qui voit sa tumeur grossir. Un adulte blessé par un éclat qui développe une infection généralisée faute de chirurgie spécialisée. Des dialysés qui ne reçoivent plus leurs séances régulières.
« Les besoins sont immenses »
Ces mots, prononcés par le coordinateur des évacuations médicales, résument à eux seuls l’ampleur du drame qui se joue sous nos yeux.
Un effondrement brutal du rythme des évacuations
Avant mai 2024, environ 1 500 patients quittaient Gaza chaque mois pour être soignés à l’étranger. Un chiffre déjà insuffisant, mais qui permettait de sauver de nombreuses vies.
La fermeture du point de passage de Rafah par Israël a tout changé. Depuis, la moyenne mensuelle est tombée à environ 70 évacuations. Soit vingt fois moins.
Évolution du nombre d’évacuations mensuelles :
Avant mai 2024 → environ 1 500 patients/mois
Après la fermeture de Rafah → environ 70 patients/mois
Octobre 2025 → 148 évacuations
Novembre 2025 → 71 évacuations
Décembre 2025 (prévu) → une trentaine seulement
Même le cessez-le-feu entré en vigueur le 10 octobre n’a pas permis de relancer la machine. Les autorisations, quand elles arrivent, restent au compte-gouttes.
Des critères de sélection qui interrogent
Autre constat accablant : 99,9 % des pays qui acceptent d’accueillir des patients exigent qu’il s’agisse d’enfants. Les adultes, pourtant majoritaires sur les listes (trois quarts des inscrits ont plus de 18 ans), sont presque systématiquement écartés.
Certains États vont plus loin. Ils refusent les patients accompagnés de frères ou sœurs majeurs. D’autres imposent des conditions administratives ou budgétaires qui repoussent indéfiniment la décision.
« Cessez de faire des listes de courses »
Coordinateur MSF des évacuations médicales
L’expression est forte. Elle traduit la frustration des humanitaires face à des critères qui semblent parfois plus politiques que médicaux.
Quelques pays montrent l’exemple, beaucoup restent à la traîne
Plus de trente pays ont accueilli des patients gazaouis depuis le début du conflit. L’Égypte et les Émirats arabes unis portent l’essentiel de l’effort, avec plusieurs milliers de prises en charge chacun.
En Europe, l’Italie se distingue avec plus de 200 patients accueillis. La Suisse a récemment reçu une vingtaine d’enfants gravement malades, dont plusieurs bébés atteints de malformations cardiaques congénitales opérés dès leur arrivée.
Mais de grands pays européens brillent par leur absence : la France et l’Allemagne n’ont encore accueilli aucun patient en deux ans de conflit.
Des enfants sauvés de justesse
Parmi les derniers groupes évacués figuraient treize enfants âgés de deux mois à seize ans. Quatre bébés souffraient de graves malformations cardiaques. D’autres étaient atteints de cancers ou nécessitaient des chirurgies orthopédiques complexes impossibles à Gaza.
Sans cette évacuation, la plupart n’auraient pas survécu plus de quelques semaines. À leur arrivée en Suisse, les bébés ont été opérés en urgence pour éviter des dommages irréversibles.
Ces histoires individuelles, bien que douloureuses, montrent qu’une mobilisation rapide reste possible quand la volonté politique existe.
Pourquoi tant de lenteur ?
Le processus d’évacuation médicale est complexe. Il nécessite l’accord des autorités israéliennes, la coordination avec l’Égypte, puis l’acceptation par un pays tiers disposé à prendre en charge les soins, souvent très coûteux.
Mais au-delà des aspects logistiques, c’est bien la volonté politique qui fait défaut. Les États hésitent à s’engager financièrement. Certains craignent les retombées diplomatiques. D’autres attendent que d’autres pays montrent l’exemple.
Pendant ce temps, les patients meurent.
Un appel pressant à la communauté internationale
Les humanitaires le répètent : il n’y a plus de temps à perdre. Chaque jour de retard supplémentaire coûte des vies. Les critères de sélection doivent être exclusivement médicaux. Les enfants comme les adultes méritent la même chance de survie.
Les pays capables d’accueillir des patients – et ils sont nombreux – doivent passer de la parole aux actes. Les budgets existent. Les hôpitaux sont prêts. Il manque seulement la décision politique.
Dans l’attente, des dizaines de milliers de Gazaouis continuent de vivre avec la peur au ventre, scrutant chaque jour les listes d’évacuation dans l’espoir d’y voir enfin apparaître leur nom.
Car pour eux, être évacué, ce n’est pas une question de confort. C’est une question de vie ou de mort.









