Dans les rues animées de Banjul, capitale de la Gambie, une clameur s’élève. Des milliers de voix, jeunes et moins jeunes, se réunissent pour dénoncer un fléau qui ronge leur pays : la corruption. Ce mercredi, la foule s’est rassemblée, brandissant des pancartes aux messages percutants, réclamant justice et transparence dans un pays où les scandales s’accumulent. Comment un si petit État d’Afrique de l’Ouest, avec ses 2,5 millions d’habitants, en est-il arrivé là ?
Une Mobilisation Populaire Historique
La manifestation de Banjul n’est pas un simple rassemblement. Elle incarne un ras-le-bol généralisé, une explosion de frustration face à un système perçu comme gangréné par la corruption et la mauvaise gouvernance. Depuis l’arrivée au pouvoir d’Adama Barrow en 2017, les espoirs d’une nouvelle ère se sont peu à peu effrités. Les Gambiens, fatigués par des décennies de pillage et d’injustices, ont décidé de faire entendre leur voix.
Les pancartes brandies dans la foule résument l’état d’esprit : des slogans comme « Le système de santé est défaillant, les dirigeants se goinfrent ! » ou « Les Gambiens ne sont pas les esclaves de la corruption » frappent fort. Ces messages traduisent une colère profonde, alimentée par des scandales qui touchent des secteurs vitaux comme la santé, les finances publiques et la gestion portuaire.
Le Scandale Sanitaire : Une Plaie Ouverte
Parmi les griefs les plus marquants, la tragédie des sirops frelatés de 2022 occupe une place centrale. Cette année-là, 70 enfants, tous âgés de 5 ans ou moins, ont perdu la vie après avoir consommé des sirops contre la toux importés d’Inde. Ces médicaments, vendus librement, étaient contaminés, provoquant une onde de choc dans ce petit pays. Pour beaucoup, cet événement tragique illustre l’incurie du gouvernement face à des enjeux cruciaux comme la régulation pharmaceutique.
« Nous vivons depuis si longtemps sous le joug du pillage et de la spoliation, et la corruption est endémique dans ce pays », a dénoncé Fallou Gallas Ceesay, directeur de programme du mouvement Gambians Against Looted Assets (GALA).
Ce drame n’est pas un cas isolé. Les manifestants pointent du doigt un système de santé défaillant, incapable de protéger les plus vulnérables. Ils accusent les autorités de négligence, voire de complicité, dans l’importation de produits dangereux. Cette tragédie a ravivé la méfiance envers un gouvernement qui semble plus préoccupé par ses propres intérêts que par le bien-être de la population.
Des Scandales Financiers en Cascade
La colère des Gambiens ne se limite pas à la santé. Plusieurs scandales financiers alimentent leur indignation. Parmi eux, des soupçons de détournements de fonds liés à la gestion de la pandémie de Covid-19 et des irrégularités présumées au sein de la direction du port de Gambie. Ces affaires, souvent révélées par des enquêtes indépendantes, mettent en lumière une opacité troublante dans la gestion des ressources publiques.
Un manifestant, Sucre Mike, exprime un sentiment partagé : « Nous avons vu tant d’enquêtes qui ont révélé de nombreux cas de corruption présumée, et le président ne fait rien pour y remédier. » Cette inaction perçue renforce le sentiment d’abandon parmi la population, qui voit ses ressources dilapidées tandis que les services publics s’effondrent.
Quelques scandales marquants :
- Gestion de la pandémie : Des fonds destinés à l’achat d’équipements médicaux auraient été détournés.
- Port de Gambie : Des millions de dollars auraient disparu dans des contrats opaques.
- Sirops frelatés : Absence de contrôles rigoureux sur les importations pharmaceutiques.
Un Mouvement Porté par la Jeunesse
Le mouvement Gambians Against Looted Assets (GALA) est à l’avant-garde de cette mobilisation. Porté par une jeunesse déterminée, il incarne l’espoir d’un changement systémique. Omar Saibo, porte-parole de l’organisation, insiste : « Ce ne sont pas seulement les jeunes qui se sont mobilisés aujourd’hui, c’est tout le pays qui veut faire en sorte que la corruption appartienne au passé. »
Les jeunes Gambiens, souvent confrontés au chômage et à la précarité, se sentent particulièrement trahis par un système qui privilégie les élites. Leur énergie et leur organisation ont transformé cette manifestation en un véritable cri de ralliement, unissant toutes les générations autour d’une cause commune : la justice.
Un Passé Dictatorial Toujours Présent
Pour comprendre l’ampleur de cette mobilisation, il faut remonter à l’histoire récente de la Gambie. Pendant plus de deux décennies, de 1994 à 2017, le pays a vécu sous la dictature brutale de Yahya Jammeh. Ce régime autoritaire a laissé des cicatrices profondes, marquées par la répression, la corruption et la spoliation des ressources nationales.
L’élection d’Adama Barrow en 2016, une victoire inattendue face à Jammeh, avait suscité un immense espoir. Beaucoup voyaient en lui le symbole d’une rupture avec le passé. Pourtant, neuf ans plus tard, les Gambiens constatent que les vieilles pratiques perdurent. Les promesses de réforme se sont heurtées à une réalité bien plus complexe, où les intérêts personnels semblent souvent primer sur le bien commun.
Des Pétitions pour Secouer le Système
Les manifestants ne se sont pas contentés de défiler. Ils ont remis cinq pétitions aux autorités, adressées aux ministères, au bureau du président et à l’Assemblée nationale. Ces documents, soigneusement rédigés, exigent des réformes concrètes : plus de transparence dans la gestion des fonds publics, des enquêtes indépendantes sur les scandales, et des sanctions pour les responsables.
Ces pétitions ne sont pas de simples formalités. Elles représentent un acte de défiance envers un système perçu comme immobile. En s’adressant directement aux institutions, les manifestants affirment leur volonté de ne plus se contenter de promesses vagues.
Un Pays en Quête de Justice
La Gambie, plus petit État continental d’Afrique, figure parmi les 20 pays les moins développés au monde, selon les Nations unies. Ce contexte de pauvreté accentue l’impact de la corruption, qui prive la population de services essentiels. Les manifestants ne demandent pas seulement la fin des scandales ; ils aspirent à un avenir où la justice sociale et la transparence ne sont pas de vains mots.
Problème | Impact | Demande des manifestants |
---|---|---|
Corruption financière | Détournement de fonds publics | Enquêtes indépendantes |
Crise sanitaire | Morts d’enfants (sirops frelatés) | Régulation stricte |
Mauvaise gouvernance | Services publics défaillants | Transparence et responsabilité |
Vers un Changement Durable ?
La manifestation de Banjul n’est pas un événement isolé. Elle s’inscrit dans une vague de contestations à travers l’Afrique, où les populations exigent des gouvernements plus responsables. En Gambie, le défi est de taille : comment transformer cette colère en réformes concrètes ? Les pétitions remises aux autorités sont un premier pas, mais leur impact dépendra de la volonté politique du gouvernement.
Pour l’heure, Adama Barrow, réélu en 2021, reste sous pression. Sa victoire écrasante lors de la présidentielle n’a pas effacé les doutes sur sa capacité à répondre aux attentes. Les Gambiens, eux, ne semblent pas prêts à baisser les bras. Leur mobilisation, portée par une jeunesse déterminée et unie, pourrait bien marquer le début d’un tournant.
Alors que les pancartes s’agitent encore dans les rues de Banjul, une question demeure : la Gambie parviendra-t-elle à se libérer du poids de la corruption ? L’avenir dépendra des actions du gouvernement, mais aussi de la persévérance d’un peuple qui refuse de se taire.