Quatre mois après la demi-finale perdue face à l’Angleterre et la petite finale cruellement arrachée par le Canada, le rugby féminin français vit encore avec cette quatrième place qui brûle. Gaëlle Mignot, co-sélectionneuse pendant trois ans aux côtés de David Ortiz, a accepté de revenir sur cette aventure pour la première fois depuis son éviction. Et elle ne mâche pas ses mots.
Un bilan sans filtre d’une sélectionneuse remerciée
À 38 ans, l’ancienne talonneuse internationale (71 sélections) vit sa première vraie grande interview depuis la fin de son mandat. Le ton est posé, la voix calme, mais on sent immédiatement que les derniers mois ont été douloureux. « J’ai eu ma chance, on n’a pas réussi malheureusement », lâche-t-elle d’entrée. Une phrase qui résume tout : l’acceptation, la déception contenue et surtout l’envie de tourner la page sans amertume.
Pourtant, elle aurait aimé continuer. Elle l’a dit, elle l’a écrit dans le projet qu’elle a déposé à la Fédération. Parce qu’elle sentait le groupe en progression, parce qu’elle croyait dur comme fer que deux ou trois ajustements auraient suffi pour franchir le cap. La Fédération en a décidé autrement en nommant François Ratier. Un choix qu’elle respecte, même si la pilule a été dure à avaler.
Le projet offensif qui n’a jamais vraiment pris
C’est probablement le point qui a le plus divisé pendant trois ans : ce jeu d’attaque ambitieux, parfois qualifié de « trop léché », qui devait faire des Bleues l’équipe la plus séduisante du monde. Gaëlle Mignot le reconnaît aujourd’hui sans détour : l’assimilation a été trop lente.
« Le jeu qu’on a voulu produire a mis beaucoup de temps à être assimilé, accepté et compris de toutes »
Elle pointe plusieurs raisons : un cycle raccourci à trois ans au lieu de quatre, la nécessité de reconstruire après un Mondial 2022 humainement raté, et surtout un championnat domestique qui ne permet pas encore aux joueuses d’évoluer à ce niveau d’exigence toutes les semaines. Le constat est lucide : vouloir jouer comme les Black Ferns quand les structures françaises ne le permettent pas encore, c’était peut-être viser trop haut trop vite.
Le quart de finale à suspense contre l’Irlande (18-13) a été le révélateur. Une victoire au forceps, sans bonus offensif, qui a mis tout le monde sous tension maximale jusqu’à la fin du tournoi. « Ce match nous a marqués », avoue-t-elle. On sent encore la frustration quand elle reparle de la demi-finale contre l’Angleterre : « Si on met ces deux ballons au fond, on mène à la mi-temps… »
Le duo avec David Ortiz : l’expérience qui a tout changé
L’une des originalités du mandat Mignot-Ortiz, c’était cette co-sélection à deux têtes. Une première dans le rugby français de haut niveau. L’idée semblait belle sur le papier : additionner les compétences, multiplier les regards. En réalité, ça a été énergivore au possible.
Il fallait tout partager, tout le temps. Chaque entretien individuel, chaque observation d’entraînement, chaque décision tactique. « Ça demande énormément d’harmonisation », explique-t-elle. Quand l’un voyait une joueuse, l’autre devait être immédiatement informé pour éviter la moindre faille. Un travail de tous les instants qui a parfois empêché de se concentrer pleinement sur le terrain.
Pourtant, elle refuse de parler d’erreur fondamentale. Le bilan humain est même très positif : jamais de clash, une complémentarité réelle, une amitié née sur le banc des adjointes lors du Mondial 2022. Mais elle admet que gérer à la fois le rugby, l’entraînement et tout le management à deux n’est pas viable sur la durée.
Le discours positif qui a agacé
On se souvient des conférences de presse après les défaites où le duo insistait sur les « progrès », les « apprentissages », les « moments partagés ». Un discours qui a parfois sonné faux aux oreilles du public et des observateurs, surtout après des performances en dents de scie.
« Ma règle de base, c’est de protéger mon groupe, quitte à prendre des coups »
Gaëlle Mignot assume totalement. Elle refuse encore aujourd’hui de critiquer publiquement une joueuse, même quand la prestation a été décevante. Pour elle, la priorité absolue reste la protection du vestiaire. Elle sait que ça lui a coûté cher dans l’opinion, mais elle ne regrette rien. « On était parfaitement conscients d’être en retard sur certains points », précise-t-elle. Le positif n’était pas du déni, c’était une stratégie de management.
François Ratier : « Il a le CV pour réussir »
Quand on lui parle de son successeur, le ton change. Respect total pour l’ancien sélectionneur du Canada, celui-là même qui l’avait battue en demi-finale du Mondial 2014 alors qu’elle était capitaine des Bleues. « Il a la stature et le CV pour prendre l’équipe de France », dit-elle simplement. Pas l’ombre d’une amertume. Elle lui souhaite même « plein de bonnes choses ».
On sent qu’elle a déjà tourné la page. Ou du moins qu’elle essaye. Elle a échangé avec lui, transmis certaines informations. Professionnelle jusqu’au bout.
Le retour à Montpellier : un nouveau défi chez les garçons
Dès le lundi suivant l’annonce de son non-renouvellement, Gaëlle Mignot a repris le chemin de Montpellier. Direction le centre de formation et un rôle transversal auprès des Espoirs et du groupe pro masculin. Un choix qui peut surprendre, mais qui correspond parfaitement à sa personnalité.
« J’ai besoin de me mettre dans le dur », explique-t-elle. Après l’échec du Mondial, elle veut se remettre en question, se challenger différemment. Travailler avec les garçons, revenir à des missions plus opérationnelles, former les futurs pros : c’est une façon de rebondir par le travail et l’exigence.
Elle qui avait déjà entraîné les avants des Espoirs avant de prendre les Bleues connaît la maison. Mais cette fois, le rôle est plus large, plus libre aussi. On sent une forme de soulagement à l’idée de retrouver le terrain au quotidien, loin des projecteurs et des attentes démesurées.
Et maintenant ?
La question qui brûle toutes les lèvres : reviendra-t-elle un jour à la tête des Bleues ? Elle ne ferme aucune porte, mais ne se projette pas non plus. « J’ai besoin de vivre autre chose », dit-elle simplement. À 38 ans, avec déjà un parcours exceptionnel (joueuse, adjointe, sélectionneuse), elle a encore de belles années devant elle.
Ce qui est sûr, c’est que le rugby féminin français a besoin de figures comme elle : franches, passionnées, capables d’assumer les échecs sans se cacher derrière des excuses. Cette interview, c’est aussi une forme de passation. Un message aux joueuses, au staff, aux supporters : on a échoué, mais on a tout donné.
Et quelque part, dans cette franchise presque désarmante, il y a la promesse que le rugby français féminin saura rebondir. Peut-être pas tout de suite. Peut-être pas avant le prochain cycle. Mais avec des personnalités comme Gaëlle Mignot dans l’écosystème, on sait que l’exigence et la remise en question seront toujours là.
Parce qu’au fond, c’est peut-être ça le message le plus fort de cette ancienne sélectionneuse : reconnaître qu’on s’est trompé, ce n’est pas une faiblesse. C’est la première étape pour redevenir les meilleures.









