Il est minuit passé dans le quartier de Pissevin, à Nîmes. Soudain, des détonations déchirent le silence. Une voiture file à toute allure, poursuivie par des ombres armées, dont l’une brandit une Kalachnikov. Ce n’est pas une scène de film, mais la réalité brutale d’un quartier où le narcotrafic impose sa loi. Moins de 48 heures après la visite ultra-médiatisée du ministre de l’Intérieur, une nouvelle fusillade éclate, ravivant les tensions et les peurs des habitants.
Pissevin : un quartier sous le joug du narcotrafic
Le quartier de Pissevin, dans le sud-ouest de Nîmes, n’est pas un lieu ordinaire. Marqué par une pauvreté extrême – avec un taux de chômage frôlant les 46 % – et des barres d’immeubles dégradées, il est devenu un épicentre de la violence liée au trafic de drogue. Les fusillades, autrefois rares, sont aujourd’hui presque quotidiennes. Dimanche, vers 0 h 30, trois jeunes à bord d’une voiture ont été pris pour cible dans le secteur de l’avenue des Arts et de la rue Utrillo. Par chance, aucun blessé n’est à déplorer, mais le véhicule porte les stigmates de trois ou quatre impacts de balles.
Selon les témoignages, les agresseurs, des jeunes du quartier, auraient installé un barrage filtrant, une pratique devenue courante pour contrôler les entrées et sorties, notamment des véhicules immatriculés hors du département. L’un d’eux, armé d’une Kalachnikov, aurait ouvert le feu après une course-poursuite à pied. Cet incident, loin d’être isolé, illustre l’emprise des réseaux criminels sur Pissevin.
“C’est infernal. Les jeunes d’aujourd’hui sont fous. On ne peut plus s’en sortir.”
Un habitant de Pissevin, propriétaire d’un appartement
Une visite ministérielle sous haute tension
Le vendredi précédent, le ministre de l’Intérieur s’était rendu à Pissevin dans un contexte déjà explosif. Accompagné d’un important dispositif policier, il avait annoncé des mesures pour renforcer la sécurité, notamment l’arrivée de 30 policiers supplémentaires d’ici l’automne et la relance d’un poste de police incendié en 2024. Pourtant, cette visite, perçue comme un symbole d’espoir par certains, n’a pas calmé les ardeurs des narcotrafiquants. Au contraire, la fusillade survenue dans la nuit de samedi à dimanche semble être une réponse provocatrice à cette présence étatique.
Les habitants, eux, oscillent entre résignation et colère. “Ministre ou pas, ça continue”, déplore un riverain, soulignant l’absence de la police au quotidien. Les CRS, déployés en renfort lors de la visite ministérielle, disparaissent souvent dès que les projecteurs s’éteignent, laissant le quartier à la merci des dealers.
Dans Pissevin, la peur est devenue une compagne quotidienne. Les mères pressent leurs enfants pour éviter les attroupements, les adolescents sont fouillés par les forces de l’ordre, et les habitants se barricadent chez eux dès la nuit tombée.
Le narcotrafic : une guerre sans fin ?
Le trafic de drogue à Pissevin n’est pas un phénomène récent, mais il a pris une ampleur alarmante ces dernières années. Les règlements de comptes, souvent liés à des rivalités entre bandes, ont fait des victimes collatérales, comme le jeune Fayed, 10 ans, tué en août 2023. Les armes automatiques, notamment les Kalachnikovs, sont devenues monnaie courante, transformant le quartier en véritable zone de guerre.
Les barrages filtrants, comme celui impliqué dans la fusillade récente, sont un outil de contrôle territorial. Ils permettent aux dealers de protéger leurs points de deal tout en intimidant les habitants et les visiteurs. Cette mainmise sur le quartier s’accompagne d’une omerta, une loi du silence imposée par la peur des représailles.
Face à cette situation, les autorités peinent à reprendre le contrôle. Depuis 2024, un Contrat de sécurité intégrée a été signé entre la ville et l’État, prévoyant des investissements dans la vidéoprotection et le renforcement des effectifs de la police municipale. Pourtant, les résultats tardent à se concrétiser, et les habitants doutent de l’efficacité des mesures annoncées.
Les habitants au cœur de la tourmente
Pour les résidents de Pissevin, vivre dans ce quartier revient à naviguer entre crainte et désespoir. Les fusillades, les courses-poursuites et les contrôles policiers rythment leur quotidien. “Tout le monde morfle”, résume un habitant, pointant du doigt une dégradation accélérée de la situation ces dernières années.
Les témoignages convergent : les jeunes impliqués dans ces violences sont de plus en plus jeunes, parfois à peine adolescents. Cette précocité inquiète, tout comme l’absence de perspectives pour la jeunesse locale. Dans un quartier où la pauvreté touche plus de 70 % de la population, le trafic de drogue apparaît comme une voie de sortie pour certains, au prix d’une violence incontrôlable.
“C’est malheureux ce qui se passe ici depuis deux ou trois ans. Et tout le monde morfle.”
Un résident anonyme de Pissevin
Les habitants réclament des solutions durables : plus de présence policière, mais aussi des investissements dans l’éducation, l’emploi et la rénovation urbaine. Sans ces mesures, le cycle de la violence risque de perdurer, transformant Pissevin en une enclave où la République semble absente.
Les mesures annoncées : un espoir fragile
Lors de sa visite, le ministre a dévoilé plusieurs initiatives pour contrer l’insécurité à Nîmes. Parmi elles :
– Renforcement des effectifs : 43 policiers adjoints sont attendus en 2025, dont 30 d’ici l’automne.
– Relance du poste de police : Le projet d’un poste mutualisé, détruit par un incendie, sera relancé avec un financement de l’État.
– Stratégie “Ville sécurité renforcée” : Un plan visant à démanteler les réseaux criminels par des opérations judiciaires et administratives.
Ces annonces, saluées par les élus locaux, suscitent toutefois le scepticisme des syndicats de police et des habitants. Les renforts promis suffiront-ils à pacifier un quartier où les dealers opèrent en toute impunité ? La question reste en suspens.
Mesure annoncée | Objectif | Échéance |
---|---|---|
30 policiers supplémentaires | Renforcer la présence policière | Automne 2025 |
Relance du poste de police | Restaurer une présence permanente | Prochaines semaines |
Stratégie “Ville sécurité renforcée” | Démanteler les réseaux criminels | En cours |
Un défi pour l’avenir de Nîmes
La fusillade de Pissevin, survenue dans la nuit de samedi à dimanche, est un rappel brutal des défis qui attendent Nîmes. Si les mesures annoncées par le ministre sont un pas dans la bonne direction, elles ne suffiront pas à elles seules. La lutte contre le narcotrafic exige une approche globale, combinant répression, prévention et développement social.
Pour les habitants, l’urgence est de retrouver un semblant de sérénité. “Ce quartier n’est pas ce qu’on veut donner à nos enfants”, confie une mère de famille. Cette phrase, lourde de sens, résume l’enjeu : redonner à Pissevin un avenir, loin des Kalachnikovs et des barrages filtrants.
Alors que les enquêtes se poursuivent pour identifier les auteurs de la fusillade, une question demeure : la visite ministérielle aura-t-elle un impact durable, ou ne sera-t-elle qu’un énième passage éclair dans un quartier oublié ? L’avenir de Pissevin, et de Nîmes tout entière, en dépend.
Pissevin, un quartier au bord du gouffre, attend des réponses concrètes. La République saura-t-elle relever le défi ?