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Fuite Désespérée Des Montagnes Du Kordofan Soudanais

Imaginez marcher huit jours à travers des montagnes hostiles, laissant derrière vous récoltes et animaux, pour fuir des combats impitoyables. Ibrahim Hussein et sa famille l'ont fait au Kordofan-Sud. Mais que deviennent ceux qui restent piégés dans les zones assiégées ?

Imaginez devoir abandonner tout ce que vous avez construit au fil des années, vos champs, vos animaux, votre maison, pour entreprendre une marche épuisante à travers des montagnes dangereuses. C’est le choix déchirant qu’ont dû faire des milliers de Soudanais dans la région du Kordofan-Sud, où les combats font rage. Leurs histoires, marquées par la peur et l’espoir, nous rappellent la brutalité d’un conflit qui ne cesse de s’étendre.

Une Fuite à Travers les Monts Nouba

Ibrahim Hussein, un agriculteur de 47 ans, a quitté son village de Keiklek avec sept membres de sa famille. Ils ont marché pendant huit longs jours pour échapper aux violences qui secouent cette zone frontalière avec le Soudan du Sud. Aujourd’hui installé à Kosti, une ville sous contrôle de l’armée à environ 300 kilomètres au sud de Khartoum, il raconte son périple avec une voix chargée d’émotion.

Comme beaucoup d’autres, Ibrahim et les siens ont tout laissé derrière eux. Les récoltes prêtes à être ramassées, les animaux qui assurent la subsistance quotidienne. La guerre, qui dure depuis avril 2023, avait jusqu’alors épargné leur quotidien paisible. Mais l’avancée des Forces de soutien rapide a changé la donne.

« Nous avons tout laissé derrière nous, nos animaux et nos récoltes. »

Ibrahim Hussein, agriculteur déplacé

Le Kordofan, Nouveau Front Stratégique

Après avoir pris le contrôle d’El-Facher, dernier bastion militaire dans le Darfour voisin, les paramilitaires ont recentré leurs efforts sur le Kordofan. Cette région pétrolifère constitue un lien crucial entre les zones tenues par l’armée au nord, à l’est et au centre, et le Darfour à l’ouest.

En octobre, la chute d’El-Facher a marqué un tournant. Depuis, les opérations se sont intensifiées. Les paramilitaires, aidés par des alliés locaux, ont saisi le plus grand site pétrolifère du pays en décembre, situé à la frontière avec le Soudan du Sud. Ils ont également resserré l’étau autour des villes de Dilling et Kadougli.

Selon les estimations de l’ONU, ces avancées ont provoqué le déplacement de plus de 53 000 personnes. Une vague humaine qui fuit vers des zones plus sécurisées, souvent au prix d’un voyage périlleux.

Des Trajets Devenus Interminables

Autrefois, un déplacement de quelques heures suffisait pour rejoindre une ville voisine. Aujourd’hui, les habitants doivent contourner les routes principales, surveillées ou bombardées. Ils optent pour des chemins détournés à travers des zones isolées, parfois minées.

Les témoignages convergent : ces trajets durent désormais entre 15 et 30 jours. À pied, en évitant les postes de contrôle des deux camps. Les familles traversent les monts Nouba, une chaîne montagneuse accidentée qui offre un abri relatif mais augmente les risques physiques.

Mohamed Refaat, responsable d’une organisation internationale spécialisée dans les migrations, a observé l’arrivée récente de près de 4 000 personnes à Kosti en seulement deux jours. La plupart sont des femmes et des enfants. Les hommes, eux, hésitent souvent à partir, craignant d’être tués ou enlevés en chemin.

« La plupart sont des femmes et des enfants. »

Mohamed Refaat, Organisation internationale pour les migrations

Les Dangers Multiples Sur la Route

Les récits des déplacés mettent en lumière une multitude de périls. Outre la fatigue extrême et la faim, les voyageurs doivent slalomer entre les checkpoints. Certains appartiennent aux paramilitaires, d’autres à l’armée régulière. Une erreur peut coûter la vie.

Adam Eissa, agriculteur de 53 ans, a choisi une autre stratégie. Sa femme, ses quatre filles et sa mère ont pris place dans un pick-up surchargé avec une trentaine d’autres personnes. Lui a conduit pendant trois jours sur des routes secondaires pour éviter les barrages.

Ils ont dépensé 400 dollars pour ce trajet, une somme colossale dans un pays où la majorité de la population vit dans la précarité. Aujourd’hui, ils dorment dans une école reconvertie en centre d’accueil, aux côtés d’environ 500 autres déplacés. L’aide arrive au compte-gouttes, insuffisante face aux besoins.

L’Explosion des Coûts de Transport

Les prix des transports ont été multipliés par dix en seulement deux mois depuis le nord du Kordofan. Cette inflation rend la fuite inaccessible pour la grande majorité. Ceux qui n’ont pas les moyens restent sur place ou tentent la marche.

Cette situation limite drastiquement le nombre de personnes capables de quitter les zones de combat. Les plus vulnérables se retrouvent piégés, exposés aux bombardements et aux pénuries.

Conséquences directes de l’inflation des transports :

  • Réduction massive des départs
  • Augmentation des risques pour les marcheurs
  • Accroissement de la pression sur les zones assiégées
  • Difficultés accrues pour l’acheminement de l’aide humanitaire

Ceux Qui Restent Derrière

À Kadougli, ville encerclée, la vie devient chaque jour plus précaire. Hamdane, un commerçant de 56 ans, vit dans la terreur permanente. Il a déjà envoyé sa famille en lieu sûr il y a plusieurs mois. Aujourd’hui, il cherche désespérément un moyen de partir lui-même.

La connexion internet par satellite lui permet de rester en contact avec le monde extérieur. Mais les options de sortie s’amenuisent. Les bombardements résonnent régulièrement, rappelant la proximité du danger.

Kassem Eissa, fonctionnaire et père de famille, fait face à un dilemme cruel. Ses trois filles, dont la plus jeune a 14 ans, manquent de nourriture et de médicaments. Partir coûte cher et expose à des risques mortels. Rester signifie affronter la faim et les frappes.

« Partir coûte cher et la route est dangereuse, mais ici nous avons du mal à trouver suffisamment de nourriture et de médicaments. »

Kassem Eissa, habitant de Kadougli

Des Atrocités Qui Font Craindre le Pire

Début décembre, une série de frappes a touché une école et un hôpital à Kalogi, une localité sous contrôle militaire à environ 70 kilomètres de Kadougli. Bilan : 114 morts, dont 63 enfants. Ces attaques, attribuées aux paramilitaires, illustrent la violence indiscriminée qui frappe les civils.

L’ONU alerte sur le risque de voir se reproduire au Kordofan les exactions observées à El-Facher. Massacres, violences sexuelles, enlèvements contre rançon : les accusations portées contre les Forces de soutien rapide sont graves et multiples.

Cette menace plane sur les populations restantes. Les humanitaires, déjà rares dans la zone, peinent à intervenir. Mercy Corps, l’une des dernières organisations présentes, constate l’aggravation quotidienne de la situation.

Kosti, Refuge Précaire

La ville de Kosti, déjà saturée par des milliers de réfugiés venus du Soudan du Sud voisin, absorbe difficilement cette nouvelle vague. Les écoles se transforment en abris de fortune. Les familles s’entassent, partageant l’espace et les maigres ressources.

Adam Eissa cherche du travail pour subvenir aux besoins des siens. Comme lui, beaucoup espèrent une amélioration qui tarde à venir. L’aide humanitaire, bien que présente, reste largement insuffisante face à l’ampleur des besoins.

Miji Park, responsable d’une ONG sur place, souligne la transformation radicale des déplacements. Ce qui était autrefois rapide et sûr est devenu une odyssée dangereuse et épuisante.

Un Conflit Qui S’enracine

Trente-et-un mois après le début des hostilités entre l’armée régulière et les paramilitaires, le Soudan plonge toujours plus profondément dans la crise. Le Kordofan-Sud représente le dernier front majeur, mais aussi un enjeu stratégique vital en raison de ses ressources pétrolières.

Les civils paient le prix fort de cette lutte de pouvoir. Leurs témoignages, comme ceux d’Ibrahim Hussein ou d’Adam Eissa, humanisent un conflit souvent réduit à des chiffres. Derrière chaque déplacement forcé se cache une histoire de perte, de courage et d’espoir ténu.

La communauté internationale observe, alerte, mais les solutions concrètes tardent. Pendant ce temps, des familles continuent de franchir les montagnes, pieds nus ou épuisés, en quête d’un refuge qui reste précaire.

Ces parcours illustrent la résilience extraordinaire des Soudanais face à l’adversité. Mais ils posent aussi une question urgente : jusqu’à quand cette souffrance pourra-t-elle durer sans intervention décisive ?

Points clés de la crise au Kordofan-Sud :

  • Plus de 53 000 déplacés récents selon l’ONU
  • Prise du principal site pétrolifère en décembre
  • Siège renforcé autour de Kadougli et Dilling
  • Attaques sur des infrastructures civiles (écoles, hôpitaux)
  • Coûts de transport multipliés par dix
  • Arrivées massives à Kosti en quelques jours

En écoutant ces voix venues du terrain, on mesure l’ampleur d’une tragédie qui, loin de s’estomper, semble s’ancrer durablement dans le paysage soudanais. Les monts Nouba, témoins silencieux de ces exodes, portent les traces d’une population en quête de survie.

Les histoires d’Ibrahim, d’Adam, de Hamdane ou de Kassem ne sont pas isolées. Elles se répètent à l’échelle de milliers de familles. Chacune porte en elle le poids d’un conflit qui détruit des vies entières, mais aussi une détermination farouche à protéger les siens.

Alors que l’année touche à sa fin, la situation au Kordofan reste critique. Les appels à l’aide se multiplient, mais les réponses peinent à suivre. Reste l’espoir que ces témoignages contribuent à sensibiliser le monde à une crise qui mérite une attention soutenue.

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