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Frédéric Péchier : Tueur en Série ou Victime d’une Erreur Judiciaire ?

Un anesthésiste jugé pour 30 empoisonnements dont 12 mortels. Un expert le voit comme un homme empathique sans passé traumatique, l’autre comme un pervers narcissique manipulateur. Lequel a raison ? Le verdict approche et la réponse reste suspendue…

Imaginez-vous sur une table d’opération, endormi, totalement vulnérable, et que la personne censée veiller sur votre vie décide soudain de jouer avec elle. C’est l’accusation terrifiante qui pèse depuis trois mois sur Frédéric Péchier, anesthésiste à Besançon, jugé pour trente empoisonnements intentionnels, dont douze ont entraîné la mort des patients.

Un procès qui glace le sang

Depuis septembre, la cour d’assises du Doubs vit au rythme d’un dossier hors norme. Entre 2008 et 2017, deux cliniques privées de Besançon ont connu une série inquiétante d’arrêts cardiaques en salle d’opération. Des événements rares, souvent mortels, qui ont fini par alerter les autorités. Au centre de l’enquête : Frédéric Péchier, souvent présent lors de ces drames, parfois même le premier à intervenir pour « sauver » les patients.

L’accusé, qui comparaît libre, risque la réclusion criminelle à perpétuité. Le verdict est attendu au plus tard le 19 décembre. Mais au-delà des faits techniques, c’est la question du profil psychologique qui passionne et divise.

Daniel Zagury : « Je n’ai jamais vu un tueur en série élevé dans l’amour »

Le célèbre psychiatre Daniel Zagury, expert auprès des cours d’assises depuis des décennies, a livré un témoignage nuancé. Selon lui, le parcours de Frédéric Péchier ne correspond pas à celui des tueurs en série classiques.

« Chez les tueurs en série, on trouve quasiment toujours des traumatismes extrêmement lourds : graves carences, sévices, incestes, tortures… »

Or, l’enfance et l’adolescence de l’accusé se sont déroulées dans un cadre familial stable, aimant, sans violence notable. Le père, médecin lui aussi, était exigeant mais attentionné. Aucune trace des abysses psychiques habituellement constatés.

Daniel Zagury refuse catégoriquement l’idée, avancée par certains enquêteurs, qu’un simple manque de reconnaissance paternelle aurait pu déclencher une telle violence. Pour lui, un conflit père-fils, aussi douloureux soit-il, mène au divan du psychanalyste, jamais à trente tentatives d’homicide.

L’expert décrit Frédéric Péchier comme un homme capable d’empathie, sans maladie mentale avérée, sans traumatisme désorganisateur. S’il avait commis les faits, cela ne pourrait s’expliquer que par un clivage extrême : un personnage lisse et sociable en surface, cachant une part sombre totalement dissociée, à la manière du docteur Jekyll et de Mister Hyde.

La profileuse de l’OCRVP : un portrait glaçant de pervers narcissique

Quelques heures plus tôt, une tout autre musique avait retenti à la barre. Peggy Alliman, psychologue criminelle et « profileuse » de l’Office central pour la répression des violences aux personnes, a dressé un portrait radicalement opposé.

Selon elle, l’auteur des empoisonnements est nécessairement une personnalité organisée, méticuleuse, prudente, ayant un besoin viscéral de contrôle et une très haute estime de soi. Des traits narcissiques, obsessionnels, avec une forte orientation manipulative.

« L’auteur présente des traits de personnalité narcissique, obsessionnelle et orientée vers la manipulation et le contrôle »

Et pour la profileuse, ces caractéristiques collent parfaitement au profil de Frédéric Péchier. Elle n’hésite pas à employer des termes forts : pervers, narcissique, manipulateur. Un individu qui supporte mal l’échec et qui aurait pu provoquer ces crises pour se mettre en scène comme le sauveur, ou pour régler des comptes avec des collègues.

Deux visions irréconciliables

À la sortie de ces auditions, les observateurs sont sonnés. D’un côté, un expert renommé qui refuse de voir en Frédéric Péchier le « monstre » classique. De l’autre, une spécialiste du profilage comportemental qui le place pile au centre de son viseur psychocriminel.

Cette opposition n’est pas anodine. Elle reflète une fracture plus large entre deux écoles : celle, clinique, qui s’appuie sur l’histoire personnelle profonde du sujet, et celle, comportementale, qui se base sur les modes opératoires et les traits de personnalité observables.

Daniel Zagury insiste : sans terreau traumatique massif, la haine nécessaire pour commettre de tels actes ne peut pas émerger. Peggy Alliman rétorque que certains tueurs en série, notamment dans le milieu médical (on pense à l’infirmier allemand Niels Högel ou au docteur britannique Harold Shipman), n’ont pas forcément connu d’enfance cauchemardesque, mais présentent tous un narcissisme pathologique extrême.

Le clivage : une hypothèse qui fait débat

L’idée du clivage avancée par Daniel Zagury mérite qu’on s’y arrête. Ce mécanisme psychique consiste à séparer radicalement deux parties de soi : l’une socialement adaptée, l’autre capable du pire. C’est ce que l’on retrouve parfois chez certains criminels « propres sur eux » : le voisin charmant qui cache un tueur, le collègue apprécié qui viole ou tue en secret.

Mais ce clivage est-il crédible ici ? Les proches de Frédéric Péchier décrivent un homme brillant, apprécié, père de famille attentionné. Aucun antécédent de violence, aucune addiction, aucune perversion sexuelle connue. Comment un tel fossé pourrait-il exister sans la moindre fissure visible pendant des années ?

Le contexte médical : une série d’événements trop anormale

Ce qui rend l’affaire particulièrement troublante, ce sont les chiffres. Dans les deux cliniques où exerçait Frédéric Péchier, le taux d’événements indésirables graves a explosé pendant les périodes où il était présent. Quand il part en vacances ou change de clinique, les incidents chutent brutalement. Quand il revient, ils remontent.

Des produits anesthésiques mortels (potassium, lidocaïne, etc.) ont été retrouvés dans des poches ou des seringues, alors qu’ils n’auraient jamais dû s’y trouver. Et Frédéric Péchier était souvent le seul à avoir manipulé ces produits en amont.

Mais l’accusé conteste farouchement. Il parle de complots, de collègues jaloux, d’erreurs de conservation des scellés. Il affirme avoir lui-même alerté sur ces incidents anormaux dès 2013, bien avant que l’enquête ne le vise.

Un accusé libre qui continue de fasciner

Frédéric Péchier comparaît libre, une rareté pour une affaire de cette gravité. Interdit d’exercer depuis 2019, il vit sous contrôle judiciaire. À la barre, il reste calme, précis, presque professoral. Il contredit les experts, rectifie les termes médicaux, démonte les accusations point par point.

Cette assurance déroute. Est-ce l’attitude d’un innocent persuadé de son bon droit ? Ou celle d’un manipulateur maître de son sujet, jouant sa dernière partition avant le verdict ?

Vers un verdict historique

Les plaidoiries approchent. Les parties civiles, familles endeuillées, attendent justice. La défense, elle, mise sur le doute et sur l’absence de preuves matérielles irréfutables : aucune caméra n’a filmé l’accusé en train d’injecter quoi que ce soit, aucun témoin direct.

Mais dans ce genre de dossier, c’est souvent le faisceau d’indices et le profil psychologique qui emportent la conviction des jurés. Et là, tout repose sur la capacité des douze citoyens à trancher entre deux visions du monde : celle, rassurante, qui veut que le mal ait toujours une cause visible dans l’enfance ; et celle, plus sombre, qui accepte qu’un homme puisse être à la fois aimant avec ses enfants le soir et tueur le matin.

D’ici quelques jours, la cour d’assises du Doubs rendra sa décision. Quelle qu’elle soit, elle marquera les esprits. Car au fond, ce procès nous renvoie à une question terrifiante : et si le monstre n’avait pas de cicatrices visibles ?

À retenir
• Deux experts se contredisent totalement sur le profil de Frédéric Péchier
• L’un exclut le tueur en série sans traumatisme lourd
• L’autre voit un pervers narcissique manipulateur
• Verdict attendu avant le 19 décembre 2025
• Risque : réclusion criminelle à perpétuité

Une chose est sûre : ce procès restera comme l’un des plus troublants de ces dernières années. Parce qu’il nous oblige à regarder en face la possibilité que le mal puisse être parfaitement intégré, poli, souriant… et mortel.

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