Jeudi matin, à Kalogi, dans le sud du Soudan, des enfants jouaient encore dans la cour de leur école maternelle. Quelques minutes plus tard, le ciel s’est déchiré. Trois frappes de drones successives ont transformé ce lieu de rires en scène de carnage. L’Union africaine, rarement aussi directe, a parlé d’« atrocités répétées et croissantes » et condamné sans détour ces assassinats de civils.
Une attaque en trois vagues d’une cruauté calculée
Le récit des survivants glace le sang. La première explosion a visé directement l’école maternelle. Des murs effondrés, des pupitres pulvérisés, des corps minuscules projetés dans la poussière. Puis, alors que les habitants accouraient, paniqués, une deuxième frappe a touché l’hôpital où l’on tentait déjà de porter secours aux premiers blessés.
La troisième vague est arrivée au moment précis où des parents, des voisins, des enseignants essayaient de dégager les enfants ensevelis. Une méthode que certains observateurs n’hésitent plus à qualifier de « double tap », technique tristement connue pour maximiser les pertes civiles.
« D’abord l’école, puis l’hôpital, et enfin ceux qui venaient sauver les enfants. »
Essam al-Din al-Sayed, responsable administratif de Kalogi
Qui sont les auteurs de ces frappes ?
Les autorités locales et les témoins pointent sans ambiguïté les Forces de soutien rapide (FSR), ces paramilitaires qui, depuis avril 2023, livrent une guerre sans merci à l’armée régulière. À leurs côtés, dans cette région du Kordofan du Sud, opère également le Mouvement populaire de libération du Soudan-Nord (SPLM-N) d’Abdelaziz al-Hilu, qui contrôle de vastes zones.
L’alliance entre ces deux acteurs, autrefois ennemis, illustre la complexité et la volatilité des lignes de front soudanaises. Ce qui n’était qu’une lutte de pouvoir entre deux généraux à Khartoum s’est métastasé en guerre ethnique, territoriale et impitoyable dans les périphéries.
L’Union africaine sort de sa réserve habituelle
Dimanche, le président en exercice de l’Union africaine, Mahmoud Youssouf, a publié un communiqué d’une rare fermeté. Le terme « consterné » revient deux fois. Celui d’« atrocités » également. L’organisation continentale, souvent critiquée pour son silence ou sa prudence, semble avoir atteint un point de rupture.
« Je condamne avec la plus grande fermeté les attaques horribles qui auraient eu lieu à Kalogi, faisant plus de 100 victimes civiles, dont des dizaines de femmes et d’enfants dans une école maternelle. »
Mahmoud Youssouf, président de l’Union africaine
Au-delà des mots, il appelle à un cessez-le-feu immédiat et à un accès humanitaire « sans entrave ». Des demandes qui, jusqu’à présent, sont restées lettres mortes.
Un conflit qui s’enfonce dans l’horreur ordinaire
Depuis avril 2023, le Soudan est redevenu le théâtre d’une guerre totale. Les chiffres donnent le vertige : des dizaines de milliers de morts, près de 12 millions de déplacés – soit plus d’un habitant sur quatre –, des régions entières coupées du monde.
Dans le Kordofan du Sud et l’État du Nil Bleu, la situation est particulièrement opaque. Communications coupées, accès quasi impossible pour les journalistes et les humanitaires, insécurité permanente. Chaque information met des jours à filtrer, quand elle filtre.
Les cibles civiles devenues systématiques :
- Écoles bombardées (plusieurs dizaines documentées depuis 2023)
- Hôpitaux touchés à répétition
- Marchés, mosquées, convois humanitaires visés
- Utilisation massive de drones armés par les deux camps
Les enfants, victimes collatérales devenues cibles
L’attaque de Kalogi n’est malheureusement pas isolée. Depuis deux ans, les établissements scolaires sont régulièrement pris pour cible. Des salles de classe transformées en cimetières, des cahiers maculés de sang, des cartables abandonnés dans la poussière.
Dans certaines zones contrôlées par les FSR, les écoles ont purement et simplement fermé. Dans d’autres, les parents hésitent à envoyer leurs enfants, terrorisés à l’idée qu’un bourdonnement dans le ciel annonce la fin de tout.
Le droit international humanitaire, pourtant clair sur la protection des civils et des infrastructures essentielles, semble n’être plus qu’un souvenir dans ce conflit.
Une communauté internationale impuissante ?
Les condamnations pleuvent. Les appels au cessez-le-feu se succèdent. Mais sur le terrain, rien ne change. Les livraisons d’armes continuent, les drones pullulent, les deux camps se radicalisent.
L’Union africaine, malgré sa sortie forte, dispose de moyens limités. L’ONU, paralysée par les veto et les jeux géopolitiques, peine à faire plus que des déclarations. Quant aux grandes puissances, elles observent, parfois soutiennent en sous-main, rarement agissent.
Et demain ?
À Kalogi, les survivants enterrent leurs morts. Les enfants qui ont réchappé au massacre ne comprennent pas encore pleinement ce qu’ils ont vécu. Leurs parents, eux, savent que rien ne garantit que demain sera différent.
Le Soudan s’enfonce dans une guerre où plus aucune ligne rouge ne semble exister. Et pendant ce temps, le monde regarde ailleurs, jusqu’à la prochaine vidéo insoutenable, jusqu’au prochain massacre d’enfants.
Il est temps que les mots « plus jamais ça » cessent d’être un slogan pour devenir une réalité. Avant qu’il ne reste plus personne pour enseigner aux enfants du Soudan ce que signifie le mot paix.









