Imaginez un bateau filant à toute allure sur une mer d’huile, loin de tout regard. Soudain, une explosion. Quatre hommes meurent sur le coup. Washington affirme qu’il s’agissait de narcotrafiquants. Mais dans les coulisses, la colère monte et les questions fusent : jusqu’où les États-Unis peuvent-ils aller dans leur guerre contre la drogue ?
Jeudi dernier, l’armée américaine a frappé de nouveau. Cette fois, c’est dans l’est du Pacifique qu’un navire a été détruit, laissant derrière lui quatre victimes présentées comme des « narcoterroristes ». L’information a été diffusée par le Southcom lui-même, accompagné d’une vidéo spectaculaire montrant l’embarcation pulvérisée en quelques secondes.
Une opération qui s’inscrit dans une série meurtrière
Ce n’est pas la première fois. Depuis plusieurs mois, les forces américaines mènent des frappes régulières contre des bateaux suspectés de transporter de la drogue. Le bilan est lourd : 87 personnes tuées à ce jour, principalement en mer des Caraïbes et désormais dans le Pacifique.
Le commandement Sud des États-Unis justifie ces interventions en expliquant que les navires ciblés empruntent des routes connues du narcotrafic et transportent des cargaisons illicites. Pourtant, aucune preuve concrète n’est jamais rendue publique après chaque opération.
La vidéo qui choque
Sur les images diffusées par le Southcom, on voit clairement un petit bateau rapide traverser l’écran à pleine vitesse. Puis une déflagration. Le feu, la fumée, et plus rien. Quatre corps, selon les militaires, n’ont pas survécu.
Cette séquence, aussi spectaculaire soit-elle, pose problème. Elle ne montre ni drogue, ni armes, ni même les visages des personnes à bord. Juste un bateau qui explose. Pour beaucoup, cela ressemble davantage à une démonstration de force qu’à une preuve irréfutable.
La double frappe qui a tout fait basculer
Le vrai scandale, celui qui a mis le feu aux poudres, remonte à début septembre. Dans les Caraïbes, un premier missile touche un navire. Des survivants s’accrochent aux débris en flammes. Au lieu de les secourir, un second missile est tiré. Onze morts au total.
Des révélations récentes ont confirmé que la seconde salve avait été autorisée personnellement par le ministre de la Défense, Pete Hegseth. Des parlementaires ayant visionné les images classifiées parlent de « marins naufragés » abattus alors qu’ils étaient déjà hors de combat.
« J’ai vu deux individus clairement en détresse, sans moyen de locomotion, qui ont été tués par les États-Unis »
Jim Himes, élu démocrate, après visionnage de la vidéo du Pentagone
Cette phrase, prononcée la semaine dernière, a fait l’effet d’une bombe. Elle transforme une opération antiterroriste en une possible exécution sommaire en eaux internationales.
Un cadre légal plus que flou
Depuis quand les États-Unis ont-ils le droit de bombarder des civils suspectés – mais non jugés – en pleine mer ? La question taraude les experts en droit international. Les opérations se déroulent hors de tout territoire national, souvent loin des côtes, dans des zones où aucune juridiction claire ne s’applique.
Le gouvernement américain invoque la lutte contre le narcoterrorisme et la protection de sa sécurité nationale. Mais pour beaucoup d’observateurs, ces frappes ressemblent davantage à des actes de guerre non déclarée qu’à des actions de police.
Aucun mandat d’arrêt. Aucune tentative d’interpellation. Juste un missile. Et quand les survivants flottent parmi les débris, un second pour « finir le travail ».
Une escalade sous l’administration Trump
Ces opérations ont véritablement pris de l’ampleur depuis le-septembre. Elles s’inscrivent dans une politique plus dure de l’administration Trump à l’égard du narcotrafic, perçue comme une menace directe pour les États-Unis.
Le ton est martial. Les communiqués parlent de « narcoterroristes ». Le terme, volontairement fort, vise à légitimer des moyens militaires contre ce qui reste, juridiquement, un délit et non un acte de guerre.
Que dit vraiment le droit international ?
En mer, hors eaux territoriales, les règles sont complexes. Un État peut intervenir contre un navire sans pavillon ou sous pavillon complaisant, mais uniquement dans certaines conditions très encadrées.
L’usage de la force létale doit être proportionné et nécessaire. Or, bombarder un bateau sans sommation, puis achever les survivants, pose un sérieux problème éthique et juridique.
Des juristes estiment que ces actions pourraient être qualifiées de crimes de guerre si elles étaient commises dans un conflit armé. Même hors conflit, elles violent potentiellement la Convention des Nations unies sur le droit de la mer.
Une communication militaire très maîtrisée
À chaque frappe, le schéma est identique : communiqué laconique, vidéo choc, affirmation sans preuve. Le Southcom contrôle totalement le récit. Les familles des victimes, elles, n’ont souvent même pas de corps à enterrer.
Aucun journaliste indépendant n’a accès aux lieux. Aucun enquêteur international ne peut vérifier les allégations. On demande au monde de croire Washington sur parole.
Vers une enquête indépendante ?
Des voix s’élèvent pour réclamer une commission d’enquête internationale. Certains pays d’Amérique latine, directement concernés par ces opérations au large de leurs côtes, commencent à murmurer leur mécontentement.
Au Congrès américain, l’opposition démocrate durcit le ton. Des auditions pourraient être organisées dans les prochaines semaines pour faire toute la lumière sur ces pratiques.
Mais dans l’immédiat, les frappes continuent. Et chaque nouvelle explosion en mer alimente un peu plus le malaise.
Quand la guerre à la drogue devient guerre tout court
Il y a vingt ans, on parlait de « war on drugs » avec des hélicoptères fumigeant des champs de coca en Colombie. Aujourd’hui, on tire des missiles sur des bateaux au milieu du Pacifique.
L’escalade est patente. Et le risque est grand de voir ces opérations se banaliser, au point où abattre des suspects en mer devienne une routine acceptée.
Car derrière les quatre morts de jeudi, il y a des hommes. Peut-être des trafiquants. Peut-être des pêcheurs au mauvais endroit. Peut-être des deux. Mais certainement pas des soldats en guerre contre les États-Unis.
Et tant que la lumière ne sera pas faite, chaque nouvelle frappe nourrira le doute. Et la colère.
À retenir : Depuis septembre, les États-Unis ont tué 87 personnes en mer au nom de la lutte antidrogue. Aucune preuve publique. Aucune interpellation. Et des survivants achevés par une seconde frappe. La question n’est plus seulement technique ou juridique. Elle est profondément humaine.
La mer, autrefois lieu de liberté, devient un terrain d’opérations où la mort tombe du ciel sans avertissement. Et pendant ce temps, la cocaïne continue d’arriver par tonnes sur le sol américain.
Preuve, s’il en fallait une, que la guerre totale contre la drogue, quand elle se militarise à ce point, perd peut-être de vue son objectif initial : protéger les citoyens. Au profit d’une démonstration de puissance dont les victimes, elles, sont bien réelles.









