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Fouilles XXL en Prison : Un Coup d’Épée dans l’Eau ?

Des milliers de téléphones, armes et drogue saisis lors des fouilles XXL dans 91 prisons françaises. Victoire contre le narcotrafic ? Pas si sûr. Une ancienne directrice de La Santé affirme que tout sera de retour en cellule… en quelques jours seulement. Comment est-ce possible ?

Imaginez la scène : des centaines d’agents pénitentiaires, casqués, gantés, qui retournent méthodiquement des centaines de cellules. Matelas éventrés, placards vidés, faux plafonds arrachés. En quelques jours, des milliers de téléphones portables, des sachets de résine de cannabis, des lames artisanales et même des consoles de jeux sont découverts. L’opération « fouilles XXL », lancée début décembre 2025, ressemble à un coup de filet spectaculaire. Pourtant, à peine les caméras parties, une voix expérimentée brise l’illusion : tout cela ne servirait presque à rien.

Une opération médiatique plus qu’efficace ?

Cette voix, c’est celle de Flavie Rault. Secrétaire générale du syndicat national des directeurs pénitentiaires, elle a dirigé pendant plusieurs années la prison de La Santé, l’une des plus sensibles de France. Pour elle, l’expression est tranchante : « c’est un coup d’épée dans l’eau ». Les objets confisqués seraient remplacés en quelques jours seulement, voire quelques heures dans certains établissements.

Pourquoi un tel pessimisme ? Parce que les portes d’entrée restent grandes ouvertes, malgré les efforts affichés.

Le parloir, cette passoire légale

Avant 2009, tout détenu sortant d’un parloir était systématiquement fouillé à nu. Une pratique jugée trop intrusive par la Cour européenne des droits de l’homme. Depuis, les fouilles ne sont plus que ciblées, sur soupçon motivé. Résultat : le passage d’objets devient beaucoup plus aisé.

Dans une maison d’arrêt classique, un prévenu a droit à trois parloirs par semaine, un condamné à un seul. Refuser l’accès, c’est risquer l’émeute en 48 heures, préviennent les professionnels. À La Santé, 50 parloirs tournent en continu. Entre chaque rotation, les agents disposent de… quinze minutes pour évacuer cinquante détenus parfois peu coopératifs et accueillir les suivants.

« Quatre visiteurs par détenu, cela peut faire 200 personnes à contrôler en un quart d’heure. C’est tout simplement impossible de tout fouiller correctement », explique Flavie Rault.

Les familles, souvent sous pression des réseaux criminels extérieurs, deviennent malgré elles des mules. Un téléphone glissé dans une couche de bébé, une puce dissimulée dans un gâteau, une lame dans la semelle d’une chaussure… Les astuces ne manquent pas.

Les drones, la nouvelle autoroute du ciel

Depuis le début des années 2020, un phénomène explose : les livraisons par drone. Le pilote, souvent posté à plusieurs centaines de mètres, connaît exactement la fenêtre de la cellule cible. Un paquet attaché sous l’appareil, quelques minutes de vol nocturne, et le colis atterrit directement dans les mains du détenu.

Sur 186 établissements pénitentiaires en France, seuls 58 sont équipés de brouilleurs anti-drones. Moins d’un tiers. Et même là où ils existent, leur efficacité reste limitée.

Les fabricants de drones civils évoluent vite. Dès qu’une fréquence est bloquée, les trafiquants passent à une autre. « Les dispositifs sont contournés en quelques semaines », regrettent les directeurs.

D’autres portes grandes ouvertes

Les ateliers de travail, les extractions médicales ou judiciaires, les arrivées de nouveaux détenus depuis les commissariats, les livraisons de colis… Chaque mouvement est une opportunité. Un téléphone peut transiter par dix mains différentes avant d’atteindre sa destination finale.

Et que dire des personnels eux-mêmes ? Si la grande majorité est intègre, quelques affaires récentes ont montré que la corruption existe aussi. Un surveillant endetté ou sous la menace peut fermer les yeux pour quelques milliers d’euros.

Des chiffres qui donnent le vertige

En 2024 déjà, l’administration pénitentiaire recensait plus de 48 000 téléphones portables saisis. Un record. En 2025, le chiffre risque d’exploser. Car un smartphone en prison, ce n’est pas seulement Instagram ou Snapchat. C’est la possibilité de continuer à gérer un trafic à l’extérieur, d’intimider des témoins, d’organiser des évasions ou des règlements de comptes.

Une étude interne estimait qu’un détenu sur trois posséderait un téléphone en permanence dans les maisons d’arrêt les plus sensibles. Dans certains quartiers de longue peine, le taux approcherait les 80 %.

Objets les plus fréquemment saisis lors des dernières grandes fouilles :

  • Téléphones portables et cartes SIM : plusieurs milliers
  • Résine de cannabis et cocaïne : plusieurs kilos
  • Armes blanches artisanales (couteaux, pics)
  • Consoles de jeux et manettes
  • Chargeurs improvisés et câbles USB

Une réponse politique avant tout médiatique

Du côté du ministère de l’Intérieur, on met en avant les chiffres de saisies et les images choc. L’opération a mobilisé plus de 3 000 agents dans 91 établissements. Un déploiement rarissime. Mais dans les couloirs des prisons, on sourit jaune. Beaucoup y voient surtout une réponse à l’émotion suscitée par plusieurs affaires récentes : agressions de surveillants, vidéos de détenus en train de fumer du cannabis tournées depuis leur cellule et diffusées sur les réseaux sociaux.

À gauche, certains dénoncent une « bestialisation » des détenus et une communication excessive. À droite, on réclame des moyens pérennes plutôt que des opérations coup de poing. Au centre, tout le monde s’accorde sur un point : le problème est structurel.

Et si on fermait vraiment les portes ?

Des solutions existent pourtant. Elles ont un coût, politique et financier.

  • Parloirs sous plexiglas sans contact physique (déjà en place dans certains quartiers de haute sécurité)
  • Fouilles systématiques avec scanners corporels dernière génération
  • Brouillage généralisé des fréquences mobiles et drones sur tout le territoire pénitentiaire
  • Réduction drastique de la surpopulation (140 % en moyenne dans les maisons d’arrêt)
  • Recrutement massif de surveillants pour assurer des contrôles dignes de ce nom

Mais appliquer ces mesures partout coûterait plusieurs centaines de millions d’euros et supposerait de toucher à des acquis sociaux (droit au maintien des liens familiaux) protégés par la jurisprudence européenne.

En attendant, les grandes fouilles continueront périodiquement. Elles permettent de faire baisser la tension quelques semaines, de redonner un peu d’autorité aux personnels, de montrer aux Français que l’État agit. Mais dès que les projecteurs s’éteignent, les drones reprennent leur ballet nocturne au-dessus des murs.

Et dans les cellules, les téléphones vibrent à nouveau.

La prison française reste, plus que jamais, une passoire high-tech.

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