Une vague de lynchages déferle sur le Bangladesh depuis plusieurs mois, faisant craindre une dangereuse dérive sécuritaire et communautaire dans ce pays d’Asie du Sud. Selon plusieurs ONG de défense des droits humains, ces exécutions sommaires perpétrées par des foules en colère ont connu une hausse spectaculaire en 2024, coïncidant avec la fuite en août dernier de l’ex-Première ministre Sheikh Hasina, qui dirigeait le pays d’une main de fer depuis 2009.
Le spectre des violences communautaires
D’après les données compilées par l’organisation Ain o Salish Kendra (ASK), au moins 128 personnes ont été tuées par des lynchages en 2024 au Bangladesh, dont les trois quarts après le départ forcé de Sheikh Hasina à la suite d’un vaste mouvement de contestation. Ce bilan macabre représente environ le triple de la moyenne des cinq années précédentes. Deux autres ONG, la fondation Manabadhikar Songskriti et Human Rights Support Society, font état de chiffres similaires, avec respectivement 146 et 173 morts recensés.
Les lynchages et les bastonnades reflètent l’intolérance et le radicalisme croissants dans la société.
– Abu Ahmed Faijul Kabir, membre de l’ONG ASK
Si les motivations précises de ces lynchages restent floues, de nombreux observateurs y voient le signe inquiétant d’une montée des violences communautaires dans le sillage de la chute de Sheikh Hasina. Plusieurs attaques ont notamment visé d’anciens membres de la Ligue Awami, le parti de l’ex-Première ministre aujourd’hui en exil. La police bangladaise, dépassée, appelle la population au calme et met en garde contre les risques de justice populaire expéditive.
Exécutions extrajudiciaires : les vieilles habitudes ont la vie dure
Mais c’est aussi du côté des forces de l’ordre que des exactions sont dénoncées. Ain o Salish Kendra affirme ainsi avoir enregistré 21 exécutions extrajudiciaires en 2024, dont 12 après la destitution de Sheikh Hasina. Une pratique qui avait cours sous le règne de l’ancienne dirigeante, entraînant la disparition de centaines d’opposants politiques selon les défenseurs des droits humains. Malgré la mise en place d’une commission gouvernementale chargée de faire la lumière sur ces crimes, peu de progrès ont été constatés.
Nous ne pouvons pas dire que la situation des droits de l’homme se soit améliorée.
– Noor Khan Liton, membre de la commission sur les disparitions forcées
La contestation, durement réprimée, peine à se faire entendre
La brutalité de la répression des manifestations antigouvernementales sous Sheikh Hasina, particulièrement le soulèvement étudiant qui a précédé sa chute, est également pointée du doigt. Des centaines de protestataires auraient été tués par les forces de sécurité dans leur tentative désespérée d’endiguer la contestation, selon plusieurs ONG locales et internationales. Depuis, le mouvement peine à se restructurer, redoutant de nouvelles violences.
L’ampleur de ce déchaînement de violences inquiète jusqu’à l’ONU, qui a appelé les autorités bangladaises à « prendre des mesures immédiates pour prévenir les exécutions extrajudiciaires et les lynchages ». Mais pour de nombreux défenseurs des droits humains, seul un véritable changement politique, permettant de tourner définitivement la page de l’ère Hasina, sera en mesure de ramener le calme. Un défi considérable alors que le pays s’enfonce dans l’instabilité.