C’est un témoignage qui fait l’effet d’une bombe. Au procès du financement libyen présumé de la campagne de Nicolas Sarkozy en 2007, l’ancien ministre Brice Hortefeux a raconté comment il est tombé dans ce qu’il qualifie de « guet-apens », lors d’une mystérieuse rencontre organisée avec un haut dignitaire du régime de Kadhafi.
Tripoli, 21 décembre 2005 : le rendez-vous piège
Ce jour-là, celui qui était alors ministre délégué aux Collectivités territoriales se rend à Tripoli, à peine deux mois après une visite de Nicolas Sarkozy en personne, alors ministre de l’Intérieur et déjà en pleine préparation de sa course à l’Élysée. Officiellement, Brice Hortefeux est là pour signer des accords de coopération. Mais la soirée va prendre une tout autre tournure…
En effet, à la surprise générale, le ministre français se retrouve convié à une rencontre avec un certain Abdallah Senoussi. Un nom qui ne dit peut-être rien au grand public, mais qui fait froid dans le dos des initiés. Et pour cause : ce beau-frère de Mouammar Kadhafi n’est autre que le chef des redoutables services secrets libyens. Un homme condamné à perpétuité pour terrorisme, notamment pour son rôle dans l’attentat contre le vol UTA 772 en 1989, qui avait fait 170 victimes dont 54 Français.
Le ministre « candide » face au chef espion
Mais ce soir-là, assure Brice Hortefeux, il ignorait totalement à qui il avait affaire. Avant d’arriver dans « la maison », comme il la décrit, on lui aurait simplement dit qu’il allait « voir un membre de la famille Kadhafi ». « Je pensais que c’était Saïf al-Islam », l’un des fils du dictateur, explique-t-il à la barre, jurant n’avoir « compris » l’identité de son interlocuteur qu’une fois sur place.
Pourquoi ce rendez-vous au sommet, dans le plus grand secret ? C’est là tout l’enjeu du procès. Car lors de cette fameuse entrevue, Brice Hortefeux est soupçonné d’avoir remis à Abdallah Senoussi un document crucial : le relevé bancaire d’un compte sur lequel aurait été versé de l’argent libyen, via un intermédiaire, pour financer la campagne de Nicolas Sarkozy.
Un « affront diplomatique » impossible pour le « jeune ministre »
Une accusation que l’ancien ministre balaie d’un revers de main. Pour lui, il s’agissait d’une simple « conversation » sur « l’immigration et les frontières », rien de plus. Alors pourquoi ne pas avoir fait machine arrière lorsqu’il a découvert qui était vraiment Abdallah Senoussi ? « En 2005, j’étais un jeune ministre, pas de plein exercice, en fonction depuis quelques mois à peine », se justifie Brice Hortefeux, expliquant qu’il ne s’est « pas senti investi d’une autorité suffisante pour créer un affront, un problème diplomatique ».
« Naïf une fois, mais pas deux. »
Brice Hortefeux
L’étrange rôle de l’intermédiaire Ziad Takieddine
Dans cette troublante affaire, un autre personnage occupe le devant de la scène : le sulfureux homme d’affaires Ziad Takieddine, « l’obligé » d’Abdallah Senoussi selon Brice Hortefeux. Présent lors de la rencontre, c’est lui qui aurait « piégé » les ministres français : « Il nous a utilisés pour démontrer sa crédibilité auprès des Libyens », accuse l’ancien ministre, affirmant ne plus l’avoir revu « pendant six mois » après cet épisode. « Naïf une fois, mais pas deux », assène-t-il.
« Guet-apens » ou « fable » ? Nicolas Sarkozy nie en bloc
De son côté, Nicolas Sarkozy, jugé depuis janvier dans ce dossier tentaculaire, conteste farouchement toutes les accusations. Pour lui, les déclarations sur un financement libyen de sa campagne ne sont qu’une « fable » et une « vengeance » de la part de l’ancien régime de Kadhafi, qu’il a contribué à faire chuter en 2011. Les débats judiciaires devront trancher : simples « banalités » échangées, comme le prétend Brice Hortefeux, ou troublantes tractations pour financer illégalement une campagne présidentielle ? Réponse attendue d’ici le 10 avril, date prévue de fin de ce procès hors normes.