C’est un tournant majeur pour l’industrie de la pêche au Sénégal. Suite au non-renouvellement d’un accord entre l’Union Européenne et Dakar, les bateaux battant pavillon européen cesseront de pêcher dans les eaux sénégalaises à partir de dimanche soir. Cette décision, annoncée mardi par l’ambassadeur de l’UE Jean-Marc Pisani, soulève de nombreuses questions quant à l’avenir du secteur halieutique et ses répercussions économiques.
Un “carton jaune” de Bruxelles envers Dakar
Selon le diplomate européen, ce non-renouvellement fait suite à des “défaillances” notifiées le 27 mai par la Commission européenne à l’État du Sénégal dans la lutte contre la pêche illégale. Bruxelles avait en effet adressé un “carton jaune” à Dakar, l’identifiant comme “pays non coopératif” face à la pêche INN (illicite, non déclarée et non réglementée).
L’UE déplorait de “graves lacunes” et des “défaillances dans les dispositifs de suivi, contrôle et surveillance”, tant pour les navires battant pavillon sénégalais en eaux extra-territoriales que pour les navires étrangers au port de Dakar. Des “exportations illégales du Sénégal vers l’UE” étaient également pointées du doigt.
18 bateaux concernés, une perte de 8,5 millions d’euros
Concrètement, cet arrêt de la pêche concernera 18 bateaux espagnols et français, qui pêchent le thon tropical et le merlu. Bien que ne représentant pas une véritable concurrence pour la pêche sénégalaise selon l’ambassadeur Pisani, leur départ signifie toutefois une perte sèche pour l’État sénégalais.
L’accord en vigueur depuis 2019 rapportait en effet une contribution de 8,5 millions d’euros sur cinq ans, à laquelle s’ajoutaient les redevances versées par les armateurs européens. Des sommes non négligeables pour ce secteur crucial de l’économie sénégalaise.
Un secteur en crise, des pêcheurs en colère
Au-delà des chiffres, cette décision intervient dans un contexte de crise profonde pour la pêche sénégalaise. Pilier économique et culturel du pays, le secteur fait vivre directement ou indirectement environ 600 000 Sénégalais sur une population d’environ 18 millions d’habitants.
Mais les quelque 50 000 pêcheurs travaillant essentiellement sur des pirogues traditionnelles dénoncent constamment la concurrence des bateaux-usines contrôlés par des étrangers, auxquels ils imputent la raréfaction du poisson. Une colère qui s’est notamment exprimée lors des dernières élections présidentielle et législatives.
Reconquérir la souveraineté maritime
Le nouveau président Bassirou Diomaye Faye a d’ailleurs fait de la souveraineté maritime un de ses chevaux de bataille, promettant de mettre fin au “pillage” des ressources halieutiques par les navires étrangers. Son Premier ministre Ousmane Sonko a réitéré ces engagements lors de la campagne des législatives.
Reste à savoir si le non-renouvellement de l’accord avec l’UE suffira à apaiser les tensions autour de ce sujet brûlant. D’autant que les 18 bateaux concernés pourront continuer à pêcher dans les eaux des pays voisins comme la Gambie ou la Mauritanie, avec lesquels Bruxelles a des accords similaires.
Vers un nouvel accord dans plusieurs mois ?
Si l’UE se dit ouverte à la négociation d’un nouvel accord, celui-ci ne pourra se faire “du jour au lendemain” selon l’ambassadeur Pisani. Le Sénégal devra d’abord mettre en œuvre un “certain nombre d’actions” pour remédier aux défaillances pointées par Bruxelles, ce qui pourrait prendre “raisonnablement plusieurs mois”.
D’ici là, c’est tout un pan de la coopération économique entre l’UE et le Sénégal qui est suspendu. Avec à la clé de lourdes conséquences sociales et financières pour un secteur déjà en crise, mais aussi peut-être l’opportunité d’une refondation plus équilibrée et durable. L’avenir de la pêche sénégalaise est plus que jamais en jeu.