Un personnage aussi puissant qu’énigmatique s’est éteint. Fethullah Gülen, prédicateur turc et figure incontournable de la scène politique de son pays, est décédé à l’âge de 83 ans aux États-Unis selon une source proche. Depuis son exil volontaire en 1999, il était devenu la bête noire du président Recep Tayyip Erdogan qui l’accusait d’avoir orchestré la tentative de coup d’État de 2016. Pourtant, les deux hommes furent un temps alliés, issus de la même mouvance de l’islam politique.
Une alliance qui tourne à la haine
Le destin de Fethullah Gülen est intimement lié à celui d’Erdogan. L’entente initiale entre les deux hommes permettra à Erdogan d’asseoir son pouvoir face à l’establishment kémaliste, défenseur d’une Turquie laïque, en profitant du vaste réseau d’influence de Gülen dans les années 2000. Mais les relations se tendent à partir de 2010 avant un point de rupture fin 2013 lorsqu’un scandale de corruption, orchestré par des magistrats acquis à la nébuleuse guléniste, éclabousse le cercle des intimes d’Erdogan, alors Premier ministre.
Un “État parallèle” pour renverser Erdogan ?
Gülen devient l’ennemi à abattre. Erdogan l’accuse d’avoir mis en place un “État parallèle” via son mouvement Hizmet, présent partout dans le monde notamment à travers un tentaculaire réseau d’écoles privées, dans le but de le renverser. Après la tentative de putsch de juillet 2016, la haine du président turc atteint son paroxysme. Une vaste chasse aux gulénistes est lancée avec des purges d’une ampleur inédite.
- Près de 700 000 personnes font l’objet de poursuites
- Plus de 125 000 fonctionnaires sont limogés
- 3 000 condamnés à perpétuité pour leur rôle présumé dans le putsch manqué
Fethullah Gülen, un prédicateur pas comme les autres
Né au début des années 40 à Erzurum dans l’est de la Turquie, Gülen passe “d’imam quelconque dans les années 1970 à dirigeant spirituel d’une vaste communauté de millions de sympathisants”, selon le chercheur Bayram Balci. Un mouvement tentaculaire et opaque, présent dans tous les secteurs, de l’économie aux médias en passant par l’éducation et l’administration. Le parallèle est souvent dressé avec des congrégations catholiques comme les Jésuites ou l’Opus Dei dont Gülen se serait inspiré.
Possédant le goût du secret et de l’influence, voire de la manipulation et de l’intimidation.
Bayram Balci, chercheur au Ceri-Sciences Po, à propos de Gülen
Un exil doré dans les Poconos
Depuis 1999, Gülen menait une vie recluse dans une propriété des Poconos, région boisée de Pennsylvanie aux États-Unis. C’est là-bas qu’il est décédé, échappant définitivement aux griffes d’Erdogan malgré les demandes répétées d’extradition d’Ankara qui le qualifie de “terroriste”. Son mouvement Hizmet, présent sur tous les continents, lui survit. Erdogan n’en a sans doute pas fini avec l’ombre de Gülen même si son plus farouche adversaire a désormais disparu.