Imaginez scrolller sur TikTok et tomber sur une vidéo annonçant une taxe surprise de 220 euros sur tous les retraits d’espèces. Panique immédiate, indignation dans les commentaires, partage massif. Sauf que c’est totalement inventé. Pourtant, la vidéo cumule des millions de vues. Et son créateur empoche une belle somme grâce à cela.
Ce scénario n’a rien d’exceptionnel. Sur la plateforme, une multitude de comptes se faisant passer pour des sources d’actualité fiable diffusent sciemment des informations fausses. Le but ? Générer un maximum d’engagement pour activer la monétisation et toucher des revenus parfois très confortables.
Le boom des faux comptes d’actualité sur TikTok
Ces dernières années, TikTok est devenu un terrain fertile pour ce type de contenu. Des vidéos courtes, percutantes, souvent accompagnées d’images d’illustration choc et d’une voix off synthétique générée par intelligence artificielle. Le format est rodé : titre sensationnel, points d’exclamation à foison, emojis expressifs pour amplifier l’émotion.
Le résultat ne se fait pas attendre. Les internautes réagissent vivement : colère, peur, enthousiasme trompeur. Chaque commentaire, chaque partage, chaque réaction alimente l’algorithme. Et plus l’engagement est fort, plus la vidéo est propulsée. Ce cercle vicieux transforme la désinformation en machine à gains.
Derrière ces comptes, on trouve souvent des personnes ordinaires en quête de revenus complémentaires ou principaux. Perte d’emploi, besoin urgent d’argent, envie de financer un projet personnel : les motivations varient, mais le schéma reste identique. Créer plusieurs comptes, publier régulièrement, mixer parfois du vrai pour éviter les sanctions trop rapides.
Des créateurs anonymes qui gagnent gros
Prenez l’exemple d’un jeune homme de 29 ans, originaire de la région marseillaise. Après avoir perdu son travail, il se lance sur la plateforme il y a environ un an et demi. Aujourd’hui, il gère deux ou trois comptes et y consacre six heures par jour. Son domaine de prédilection ? Les faits divers insolites et les histoires farfelues qui captivent un large public.
Ses revenus oscillent entre 1 500 et 4 500 euros brut par mois. Une somme non négligeable obtenue en publiant du contenu conçu pour faire réagir. Il avoue privilégier ce qui marche le mieux : les rumeurs effrayantes, les annonces choc touchant au quotidien des gens.
Un autre témoignage vient d’un jeune de 28 ans basé à Dakar. Pour contourner les restrictions géographiques de la monétisation – certaines régions d’Afrique n’y sont pas éligibles – il utilise le compte d’un ami résidant en France. Grâce à cela, il a pu financer une opération médicale coûteuse après un accident. Preuve que ces pratiques peuvent avoir un impact concret sur la vie des créateurs.
Plus jeune encore, un adolescent de 19 ans se réjouit d’un premier paiement de 60 euros. Il a atteint l’éligibilité grâce à une vidéo deepfake particulièrement virale. Même s’il se dit gêné que certains y aient cru, l’attrait financier l’emporte.
Des contenus conçus pour provoquer des émotions fortes
Ce qui fonctionne le mieux ? Les faux faits divers spectaculaires. Rumeurs de kidnappings, animaux sauvages en liberté dans des villes, prétendues nouvelles lois absurdes comme un couvre-feu pour mineurs après 23 heures ou une amende pour écouter de la musique en voiture.
Mais aussi tout ce qui touche au portefeuille : hausses d’impôts fictives, taxes inattendues, mesures gouvernementales inventées. Ces sujets génèrent une réaction émotionnelle immédiate. Les gens se sentent directement concernés, partagent sans vérifier, commentent avec vigueur.
Les experts parlent d’une véritable industrialisation de la désinformation. Les formats sont optimisés pour l’algorithme : durée supérieure à une minute pour être éligible à la rémunération, voix off neutre et professionnelle grâce à l’IA, montage rapide avec images libres de droits.
Ces formats vidéo pensés pour générer une réaction émotionnelle participent d’une industrialisation des fausses infos.
Cette observation met en lumière comment la plateforme, par son fonctionnement même, encourage indirectement ce type de contenu. Plus il suscite d’émotions, plus il est rentable.
Pourquoi certains internautes y croient-ils dur comme fer ?
Du côté des consommateurs, la méfiance envers les médias traditionnels joue un rôle clé. Beaucoup préfèrent ce qu’ils appellent les médias indépendants. Ces comptes anonymes, présentés comme alternatifs, gagnent leur confiance.
Des utilisateurs interrogés expliquent faire plus confiance à ces sources qu’aux chaînes classiques, accusées de manipulation. Ils consomment ces vidéos sans recul, les partagent dans leur entourage, amplifiant ainsi la diffusion.
Ce phénomène révèle une fracture dans la perception de l’information. À force de défiance généralisée, les rumeurs les plus extravagantes trouvent un terrain fertile. Surtout quand elles confirment des peurs préexistantes sur le coût de la vie ou l’insécurité.
Les règles de monétisation et leurs contournements
Pour être rémunéré via le programme dédié, un compte doit remplir plusieurs critères. Au moins 10 000 abonnés, 100 000 vues sur les trente derniers jours, et des vidéos de plus d’une minute. Une fois éligible, chaque vue qualifiée rapporte de l’argent.
Mais ces contenus trompeurs violent clairement les conditions d’utilisation. La plateforme interdit la désinformation intentionnelle. Pourtant, beaucoup de comptes prospèrent longtemps avant d’être éventuellement sanctionnés.
Certains créateurs rusés mélangent vrai et faux pour rester sous le radar. D’autres évitent les sujets sensibles géopolitiques, non éligibles dans certaines zones. Les plus organisés gèrent plusieurs comptes simultanément, répartissant les risques.
À savoir : Le mot-clé « actualité » fait apparaître des centaines de comptes similaires sur TikTok. Beaucoup portent des noms génériques comme « actu France » ou « actualités du jour ». Souvent, une seule personne en contrôle plusieurs.
Cette prolifération rend le phénomène difficile à quantifier précisément. Mais les exemples concrets ne manquent pas, montrant une activité structurée et lucrative.
Les conséquences sur la confiance collective
Au-delà des gains individuels, ces pratiques ont un impact sociétal profond. En diffusant des mesures fictives présentées comme officielles, elles créent une impression d’arbitraire permanent. Les gens oscillent entre colère et résignation face à un supposé chaos décisionnel.
À long terme, cela érode la confiance dans les institutions. Quand des fausses annonces sur des taxes ou des restrictions circulent massivement, la frontière entre vrai et faux s’estompe. Le débat public s’en trouve pollué.
Les spécialistes soulignent que ce mécanisme souffle le chaud et le froid en permanence. Une vidéo alarme, la suivante rassure parfois. Tout cela maintient l’attention captive, au détriment de l’information fiable.
Ces comptes contribuent à la perte de confiance dans le système politique en évoquant des mesures fictives qui soufflent le chaud et le froid avec une impression d’arbitraire.
Que fait la plateforme pour contrer cela ?
Officiellement, TikTok affirme lutter contre la désinformation, qu’elle soit intentionnelle ou non. Des partenariats existent avec des organisations de vérification des faits dans plusieurs pays. Ces structures sont rémunérées pour analyser les contenus signalés.
En pratique, les sanctions interviennent parfois tardivement. Certains comptes très virulents sont supprimés, comme celui du jeune qui avait publié un deepfake. Mais d’autres continuent longtemps leur activité.
La plateforme peut démonétiser ou suspendre quand un préjudice important est constaté. Pourtant, la course à l’engagement rend la modération complexe. Le défi consiste à distinguer l’information trompeuse de la satire ou de l’opinion.
Vers une prise de conscience collective ?
Ce phénomène n’est pas près de disparaître tant que la monétisation récompensera l’engagement à tout prix. Mais une vigilance accrue pourrait limiter les dégâts. Apprendre à vérifier les sources, croiser les informations, prendre du recul face aux annonces trop sensationnelles.
Du côté des créateurs, certains finissent par regretter. Comme ce jeune qui s’est dit gêné après coup. D’autres assument pleinement, voyant cela comme une opportunité économique légitime dans un monde difficile.
Quant aux utilisateurs, la responsabilité est partagée. Chaque partage irréfléchi alimente le système. Prendre le temps de vérifier avant de réagir pourrait déjà changer beaucoup de choses.
- Vérifiez toujours la source originale des annonces officielles.
- Croisez avec plusieurs médias reconnus.
- Méfiez-vous des vidéos trop émotionnelles sans preuves concrètes.
- Signalez les contenus manifestement faux.
- Prenez l’habitude de la pause réflexion avant de partager.
En définitive, ce business lucratif des faux comptes révèle les failles d’un écosystème où l’attention est devenue la ressource la plus précieuse. Entre innovation technologique et appât du gain, la quête de vérité demande plus que jamais de la vigilance de tous les acteurs.
Le défi pour les années à venir sera de concilier liberté d’expression, rémunération équitable des créateurs et protection contre la désinformation massive. Un équilibre délicat, mais indispensable pour préserver un espace informationnel sain.
Car au final, quand l’argent prime sur la véracité, c’est toute la société qui en paie le prix. Une réflexion collective s’impose, avant que le chaos informationnel ne devienne irréversible.









