Parmi les multiples pistes évoquées pour alléger la pression fiscale dans le cadre des discussions budgétaires, l’idée de vendre les fameuses “participations de l’État” revient avec insistance. Une solution tentante, mais pas sans risques ni controverse. Éclairage sur un sujet brûlant.
Des participations stratégiques en question
L’État français est actuellement actionnaire, à des degrés divers, dans pas moins de 85 entreprises. On y trouve de grandes entreprises publiques bien connues comme la SNCF ou EDF, mais aussi des fleurons nationaux cotés en bourse comme Airbus, Renault ou Thalès, et même quelques pépites plus confidentielles.
Au total, la valeur de ce portefeuille de “bijoux de famille” est estimée à plusieurs dizaines de milliards d’euros. De quoi faire rêver en ces temps de disette budgétaire où chaque euro compte pour réduire les déficits et la dette. La tentation est forte, pour certains, de vendre une partie de ces actifs afin de dégager des recettes exceptionnelles et desserrer ainsi l’étau fiscal.
Retour sur les privatisations passées
L’idée n’est pas nouvelle. La France a déjà connu plusieurs vagues de privatisations depuis les années 1980, sous des gouvernements de différentes couleurs politiques. Des entreprises comme Saint-Gobain, TF1, Elf ou France Télécom sont ainsi passées dans le secteur privé, avec des fortunes diverses.
Si certaines privatisations ont été des réussites, d’autres ont laissé un goût amer, les intérêts de l’État et des contribuables n’ayant pas toujours été bien préservés. Le traumatisme de la privatisation ratée d’Alstom, finalement racheté par l’américain General Electric en 2014, reste dans les mémoires.
Les privatisations ne sont pas une martingale budgétaire. C’est un outil dont il faut user avec discernement.
– Un haut fonctionnaire de Bercy
Quel rôle pour un État actionnaire ?
Au-delà de l’aspect financier, c’est le rôle même de l’État actionnaire qui est en question. Pour les partisans d’un État minimal, l’actionnariat public n’a pas de raison d’être en dehors de quelques secteurs très particuliers. À l’inverse, les défenseurs d’un État stratège estiment que les participations permettent de préserver des intérêts nationaux essentiels et d’orienter l’activité économique.
Entre ces deux visions, la ligne de crête est étroite. Un consensus semble néanmoins se dégager sur le fait que l’État a un rôle à jouer pour des entreprises relevant de la souveraineté nationale (défense, nucléaire…) ou de services publics fondamentaux. En revanche, conserver des participations minoritaires dans des entreprises concurrentielles pose question.
Vers des cessions ciblées ?
C’est dans cette logique que Bercy étudie actuellement la possibilité de céder certaines de ses participations jugées non essentielles. Selon une source proche du dossier, une short-list d’une dizaine d’entreprises serait sur la table, représentant un potentiel de recettes de plusieurs milliards d’euros.
Parmi les pistes évoquées figureraient des baisses de participation dans des groupes comme Renault ou Safran, sans pour autant que l’État n’en perde le contrôle. La Française des Jeux ou Aéroports de Paris seraient aussi dans le viseur. Des cessions plus symboliques comme celle des 109 hectares hippiques détenus par l’État sont également à l’étude.
Il ne s’agit pas de brader les intérêts du pays, mais d’optimiser les participations de l’État là où c’est pertinent.
– Un conseiller ministériel
Un sujet politiquement explosif
Mais même ciblées, ces cessions s’annoncent politiquement délicates. À gauche, toute cession du patrimoine public reste un tabou. Le spectre des privatisations “à la découpe” des années Balladur est agité, certains y voyant le cheval de Troie d’un projet néolibéral.
À droite et au centre, si le principe de cessions n’est pas rejeté, beaucoup réclament que l’intégralité des recettes soit effectivement consacrée à la réduction des déficits et de la dette, et non à de nouvelles dépenses. Un débat s’annonce également sur l’affectation du produit des cessions entre l’État et les entreprises elles-mêmes.
L’introuvable consensus
Difficile, dans ces conditions, de trouver un consensus politique. Le gouvernement marche sur des œufs, tiraillé entre un impératif budgétaire pressant et la crainte de nouvelles controverses. Les décisions finales ne sont pas attendues avant plusieurs semaines, le temps de déminer le terrain.
Une chose est sûre : la question des participations de l’État est un serpent de mer qui n’a pas fini de faire parler. Derrière les chiffres et les techniques financières, c’est bien la vision du rôle de la puissance publique dans l’économie qui est en jeu. Un débat vieux comme l’État lui-même, et qui est loin d’être tranché.