Imaginez l’homme considéré comme le deuxième personnage le plus puissant du Pakistan, un général craint et respecté, finir menotté devant une cour martiale. C’est exactement ce qui vient d’arriver à Faiz Hameed, ancien directeur général de l’Inter-Services Intelligence (ISI), les redoutables services de renseignement extérieur pakistanais.
Une condamnation qui secoue le pays tout entier
Jeudi soir, l’armée pakistanaise a annoncé que le lieutenant-général à la retraite Faiz Hameed avait été reconnu coupable de plusieurs chefs d’accusation graves. Quatorze ans de prison ferme. Le verdict est tombé comme un couperet, sans que la défense n’ait même été informée de la date du prononcé.
Son avocat, Ali Ashfaq, n’a pas mâché ses mots : « Même les avocats et la famille n’ont pas été prévenus. C’est une parodie de justice. » L’appel sera déposé dans les tout prochains jours.
Quels sont exactement les griefs retenus contre lui ?
Les charges sont multiples et particulièrement lourdes pour un ancien chef du renseignement :
- Violation de secrets d’État
- Abus de pouvoir
- Implication dans des activités politiques (interdites aux militaires en activité)
- Préjudice injustifié causé à des personnes
- Extorsion d’argent lors d’une perquisition chez un promoteur immobilier privé
Cette dernière accusation remonte à une affaire révélée par la Cour suprême en 2023. Faiz Hameed aurait, à l’époque où il dirigeait encore l’ISI, ordonné une descente musclée dans les bureaux d’une société immobilière pour soutirer des fonds.
Le péché originel : avoir été l’allié d’Imran Khan
Mais au-delà des accusations officielles, une réalité s’impose : Faiz Hameed a été l’un des plus proches soutiens d’Imran Khan lorsque celui-ci est arrivé au pouvoir en 2018. À l’époque, beaucoup parlaient même du général comme du « faiseur de roi ».
Leur alliance a duré jusqu’à la chute du Premier ministre en avril 2022, renversé par un vote de défiance. Depuis, Imran Khan croupit en prison, condamné dans plusieurs dossiers de corruption qu’il qualifie de purement politiques.
« Cette condamnation est un message clair adressé à Imran Khan »
Arifa Noor, analyste politique
Et le message semble bien reçu. Quelques jours avant l’annonce du verdict contre Faiz Hameed, les autorités pénitentiaires ont suspendu les visites de la famille et des avocats d’Imran Khan. Motif ? L’ancien Premier ministre avait publié sur les réseaux sociaux un message accusant directement le chef d’état-major actuel, le général Asim Munir, de le persécuter.
Un règlement de comptes au sommet de l’État
Il faut comprendre que l’armée pakistanaise n’est pas une institution comme les autres dans le pays. Elle a gouverné directement ou indirectement pendant plus de la moitié de l’histoire du Pakistan depuis 1947. Les civils qui osent la défier finissent rarement bien.
Imran Khan avait cru pouvoir briser ce cycle. Il s’était présenté comme l’homme du changement, promettant de mettre fin à l’ingérence militaire. Son erreur ? Avoir cru que l’alliance avec une partie de l’état-major, incarnée par Faiz Hameed, le protégerait durablement.
L’arrivée d’Asim Munir à la tête de l’armée en novembre 2022 a marqué le début de la contre-offensive. Le nouveau chef d’état-major, connu pour son rigorisme et sa loyauté sans faille envers l’institution, n’a jamais pardonné à Imran Khan ses attaques répétées contre l’armée.
Un procès dans l’opacité la plus totale
Ce qui choque le plus dans cette affaire, c’est le caractère secret du procès. Les cours martiales au Pakistan ne sont pas ouvertes au public, ni même parfois aux avocats de la défense.
Ali Ashfaq, l’avocat de Faiz Hameed, dénonce une procédure expéditive : « Mon client rejette catégoriquement toutes les accusations depuis le premier jour. On ne nous a même pas laissé accéder au dossier complet. »
Faiz Hameed a été arrêté en août 2024, soit plus de deux ans après avoir quitté son poste à la tête de l’ISI. Un timing qui interroge : pourquoi avoir attendu si longtemps si les faits étaient si graves ?
Les conséquences sur le paysage politique pakistanais
Cette condamnation arrive à un moment particulièrement tendu. Le parti d’Imran Khan, le PTI, bien que décimé par les arrestations et les défections, reste la formation la plus populaire du pays selon de nombreux sondages.
En frappant l’un des derniers symboles de l’ancienne alliance entre une partie de l’armée et Imran Khan, l’état-major envoie un signal fort : personne n’est intouchable, pas même un ancien patron de l’ISI.
Pour les partisans de l’ex-Premier ministre, c’est la preuve définitive que le pouvoir actuel, coalition hétéroclite dirigée par Shehbaz Sharif, n’est qu’une marionnette aux mains des militaires.
Et maintenant ?
L’appel sera déposé devant la Haute Cour, puis éventuellement devant la Cour suprême. Mais dans un pays où l’armée conserve une influence considérable sur le système judiciaire, peu d’observateurs croient à une annulation pure et simple du verdict.
Faiz Hameed, l’homme qui murmurait à l’oreille d’Imran Khan, risque de passer de longues années derrière les barreaux. Et avec lui, s’éteint peut-être le dernier espoir d’une réconciliation entre l’ancien Premier ministre et l’institution militaire.
Le Pakistan entre dans une nouvelle ère : celle où même les généraux les plus puissants peuvent tomber quand ils choisissent le mauvais camp.
En définitive, cette condamnation n’est pas seulement celle d’un seul homme. C’est tout un système de pouvoir parallèle qui est en train d’être démantelé sous nos yeux. Et le grand perdant, une fois de plus, s’appelle Imran Khan.
Le feuilleton judiciaire est loin d’être terminé. Mais une chose est sûre : au Pakistan, défier l’armée reste le sport le plus dangereux du pays.










