La cour d’appel de Paris a pris une décision retentissante ce mercredi en refusant d’extrader vers le Liechtenstein l’homme d’affaires et ex-député russe Achot Eguiazarian. Ce dernier était réclamé par la principauté alpine pour un litige financier l’opposant à un autre puissant homme d’affaires russe, Vitaly Smaguine.
Un contentieux international complexe
Selon des sources proches du dossier, Achot Eguiazarian avait été interpellé en août dernier à l’aéroport Roissy-Charles de Gaulle, sur la base d’une notice rouge d’Interpol émise à la demande de la justice liechtensteinoise. Cette dernière souhaitait le poursuivre pour des faits présumés de banqueroute frauduleuse, entrave à exécution et blanchiment, en lien avec un différend l’opposant à son compatriote Vitaly Smaguine.
À l’origine de l’affaire : une sentence arbitrale rendue à Londres en 2014, condamnant Achot Eguiazarian à rembourser la somme colossale de 92 millions de dollars à Vitaly Smaguine. Un montant que l’homme d’affaires aurait cherché à ne pas honorer en transférant artificiellement ses avoirs à un trust, selon les autorités judiciaires du Liechtenstein.
Le “Europark” de Moscou au cœur des tensions
D’après le quotidien économique russe Vedemosti, qui a pu consulter des documents judiciaires, le contentieux initial entre les deux hommes concernerait une société qui détenait autrefois le centre commercial “Europark”, situé à l’ouest de Moscou. Un bien particulièrement convoité dans le milieu des affaires russe.
Mais les ennuis judiciaires d’Achot Eguiazarian ne se limitent pas à ce seul litige. Dès 2010, il a fait l’objet d’une enquête pénale pour fraude en Russie, en partie liée à son différend avec Vitaly Smaguine. Une procédure qui lui a valu d’être condamné par contumace en 2018 à sept ans de colonie pénitentiaire par la justice russe.
200 millions de dollars en jeu avec Souleïman Kerimov
L’homme d’affaires a également été impliqué dans un autre litige retentissant, l’opposant cette fois au milliardaire Souleïman Kerimov. À l’issue d’un règlement à l’amiable, ce dernier a dû verser près de 200 millions de dollars à Achot Eguiazarian en mai 2015.
C’est justement cet argent que Vitaly Smaguine accuse Achot Eguiazarian d’avoir dissimulé pour ne pas honorer leur propre contentieux, à l’origine de l’enquête initiée par le Liechtenstein. Si un accord a récemment été trouvé entre les deux parties, la procédure pénale n’est pour autant pas éteinte à ce stade.
Un ancien député proche de l’ultranationaliste Vladimir Jirinovski
Avant de se retrouver dans la tourmente judiciaire, Achot Eguiazarian a été un personnage influent de la vie politique russe. De 1999 à 2010, il a siégé comme député à la Douma d’État, la chambre basse du Parlement, sous l’étiquette du Parti libéral-démocrate de Russie (LDPR).
Ce parti, dirigé de longue date par le sulfureux Vladimir Jirinovski jusqu’à son décès en 2022, est connu pour ses positions ultranationalistes et populistes. Bien qu’officiellement dans l’opposition, le LDPR a souvent soutenu la politique du Kremlin sur les questions clés.
La justice française ne veut pas “se laisser instrumentaliser”
En refusant l’extradition d’Achot Eguiazarian malgré les demandes insistantes du Liechtenstein, la cour d’appel de Paris envoie un message clair. Pour l’ancien député, visiblement ému à l’issue du délibéré, “les autorités françaises ont reconnu que la procédure intentée à [son] encontre était infondée” et ont “refusé de se laisser instrumentaliser”.
Une décision que ses avocats, Mes Céline Bekerman et Antoine Cadeo, ont accueillie “avec soulagement”. Le parquet général dispose toutefois d’un droit de recours, ce qui pourrait prolonger cette saga judiciaire déjà riche en rebondissements. Affaire à suivre, donc, dans ce feuilleton où s’entremêlent les intérêts des puissants hommes d’affaires russes et les subtilités du droit international.
