Sur l’île d’Hispaniola, où deux nations partagent un destin géographique mais des réalités bien distinctes, un mur continue de grandir, matérialisant une frontière autant physique que symbolique. La République dominicaine a lancé, en ce début d’année 2025, une nouvelle phase d’extension de sa barrière séparant le pays d’Haïti, un projet qui suscite autant d’espoir pour certains que de controverses pour d’autres. Ce chantier, démarré en 2021, reflète une volonté affirmée de contrôler les flux migratoires dans un contexte de crise humanitaire sans précédent de l’autre côté de la frontière.
Une Frontière Sous Haute Tension
La République dominicaine, sous l’impulsion du président Luis Abinader, a entrepris depuis 2021 la construction d’un mur frontalier visant à endiguer l’immigration illégale en provenance d’Haïti. Ce projet, qui s’étend désormais sur une nouvelle section de 13 kilomètres dans la province de Dajabon, au nord du pays, porte la longueur totale de cette structure à environ 170 kilomètres. Cela représente près de la moitié de la frontière terrestre qui sépare les deux nations partageant l’île caribéenne d’Hispaniola. Mais au-delà des chiffres, ce mur incarne une vision politique et une réponse à des défis complexes.
Le lancement de cette nouvelle phase a été marqué par une cérémonie symbolique, où des figures clés du gouvernement dominicain, dont le ministre de la Présidence, Jose Ignacio Paliza, ont posé la première pierre. Selon ce dernier, cette clôture n’est pas qu’une simple infrastructure : elle représente un symbole de souveraineté et un engagement à protéger l’intégrité territoriale du pays. Mais que signifie vraiment cette barrière pour les deux nations ?
Un Mur, Plusieurs Objectifs
Le mur frontalier, composé d’une base en béton surmontée de fils barbelés, répond à plusieurs impératifs pour le gouvernement dominicain. D’abord, il s’agit de renforcer la sécurité nationale face à l’afflux de migrants fuyant la violence et la pauvreté en Haïti. Ensuite, il vise à affirmer la souveraineté du pays dans une région où les tensions historiques et culturelles entre les deux nations restent vives. Enfin, il s’inscrit dans une stratégie politique plus large, portée par Luis Abinader, qui a fait de la fermeté migratoire un pilier de son mandat.
« La clôture périmétrique n’est pas simplement une infrastructure de sécurité mais aussi un symbole de souveraineté, d’intégrité institutionnelle et d’engagement pour la protection du territoire national. »
Jose Ignacio Paliza, ministre de la Présidence
Depuis son arrivée au pouvoir en 2020, Abinader a adopté une ligne dure sur la question migratoire, une posture qui lui a valu un second mandat en 2024. Cette fermeté se traduit par des mesures concrètes : en 2025, les autorités dominicaines ont déjà expulsé plus de 143 000 Haïtiens sans papiers au cours des cinq premiers mois de l’année. Ces chiffres, impressionnants, soulignent l’ampleur de la crise migratoire et la détermination du gouvernement à y répondre.
Haïti : Une Crise Humanitaire Sans Fin
Pour comprendre l’ampleur du défi, il faut se tourner vers Haïti, un pays ravagé par une crise humanitaire sans précédent. Les gangs violents, accusés de meurtres, de viols et d’enlèvements, contrôlent de vastes portions du territoire, plongeant la population dans un climat de peur permanente. Selon les données des Nations Unies, près de 1,3 million de personnes ont été contraintes de fuir leur foyer à cause de ces violences, cherchant refuge ailleurs dans le pays ou au-delà des frontières.
Cette situation dramatique pousse de nombreux Haïtiens à tenter leur chance en République dominicaine, un pays qui, bien que confronté à ses propres défis, offre une stabilité relative et des opportunités économiques. Aujourd’hui, environ 500 000 Haïtiens vivent en République dominicaine, un chiffre qui illustre l’ampleur de cette diaspora et les tensions qu’elle peut engendrer.
Les chiffres clés de la crise
- 170 kilomètres : Longueur totale du mur frontalier à ce jour.
- 1,3 million : Nombre de déplacés internes en Haïti (ONU).
- 143 000 : Haïtiens expulsés par la République dominicaine en 2025.
- 500 000 : Haïtiens vivant en République dominicaine.
Un Symbole de Division
Si le mur est perçu comme une nécessité par une partie de la population dominicaine, il est aussi critiqué pour ce qu’il représente : une barrière physique et symbolique entre deux peuples partageant la même île. La République dominicaine, hispanophone et relativement prospère, contraste fortement avec Haïti, francophone et miné par la pauvreté. Cette dichotomie, héritée d’une histoire coloniale complexe, alimente des tensions qui vont bien au-delà des questions migratoires.
Pour beaucoup, ce mur est une réponse pragmatique à une situation d’urgence. Mais pour d’autres, il incarne une forme de rejet, une volonté de marquer une séparation nette entre deux réalités. Les organisations humanitaires, par exemple, s’inquiètent de l’impact de ces politiques sur les droits des migrants et sur la situation des Haïtiens déjà installés en République dominicaine.
Les Enjeux Politiques et Sociaux
La politique migratoire d’Abinader, bien que populaire auprès d’une partie de l’électorat dominicain, soulève des questions éthiques et pratiques. Les expulsions massives, par exemple, sont critiquées pour leur brutalité et leur impact sur des populations déjà vulnérables. De plus, la construction du mur, bien qu’elle renforce la sécurité nationale, ne résout pas les causes profondes de la crise migratoire : la violence et la pauvreté en Haïti.
Sur le plan régional, cette initiative pourrait également tendre les relations entre les deux pays. Haïti, déjà fragilisé, pourrait percevoir ce mur comme un geste d’hostilité, compliquant davantage la coopération bilatérale. Pourtant, certains analystes estiment que la République dominicaine n’a d’autre choix que de protéger ses intérêts face à l’instabilité croissante de son voisin.
Vers un Avenir Incertain
Alors que le mur s’élève, les questions demeurent : suffira-t-il à endiguer les flux migratoires ? Contribuera-t-il à apaiser les tensions ou, au contraire, à les exacerber ? Une chose est sûre : la situation à la frontière dominico-haïtienne reflète des défis mondiaux, où les questions de souveraineté, de sécurité et d’humanité s’entremêlent. Pour l’heure, la République dominicaine poursuit sa stratégie, mais le coût humain et politique de cette barrière reste à évaluer.
En attendant, les Haïtiens continuent de fuir un pays en proie au chaos, tandis que leurs voisins dominicains cherchent à protéger leur stabilité. Ce mur, bien plus qu’une structure de béton, est le miroir d’une île divisée, où l’histoire et la géographie ne cessent de redessiner les contours d’une coexistence complexe.