Imaginez un pays qui a ouvert grand ses portes en 2015 à des centaines de milliers de Syriens fuyant la guerre, puis qui, dix ans plus tard, envoie deux ministres à Damas pour négocier… leur retour forcé. Ce n’est pas un scénario de film, c’est l’actualité brûlante entre Stockholm et la Syrie.
Un accord historique qui marque un tournant radical
Jeudi dernier, le ministre suédois des Migrations, Johan Forssell, a annoncé une coopération renforcée avec Damas. Objectif clairement affiché : augmenter le nombre d’expulsions de ressortissants syriens condamnés pour des crimes commis en Suède. Une première depuis 2011 : deux ministres suédois ont rencontré le président syrien Ahmad al-Chareh.
Cette visite n’a rien d’une simple courtoisie diplomatique. Elle s’inscrit dans une nouvelle doctrine suédoise : l’aide au développement doit désormais servir les intérêts nationaux, et notamment réduire l’immigration irrégulière.
Pourquoi maintenant ? Le contexte qui a tout changé
Entre 2014 et 2018, la Syrie était le premier pays d’origine des personnes arrivant en Suède. Des centaines de milliers de demandes d’asile ont été acceptées. Beaucoup se sont parfaitement intégrés. Mais une minorité visible a commis des infractions graves, parfois très graves.
Les gouvernements successifs, de gauche comme de droite, ont progressivement durci la législation. Le gouvernement actuel, soutenu par l’extrême droite, va plus loin : il fait du retour des délinquants une priorité absolue.
« La grande majorité des personnes arrivées sont honnêtes et respectueuses des règles, mais il y en a aussi qui ont commis des infractions. Ces personnes-là n’ont simplement pas leur place en Suède. »
Johan Forssell, ministre des Migrations
Une coopération sous condition : l’aide au développement en jeu
Le message est limpide. Sans coopération effective sur les expulsions, la Suède réduira, voire suspendra, une partie de son aide à la reconstruction syrienne. Ce n’est plus de la diplomatie classique, c’est une négociation où chaque euro d’aide a désormais un prix : la reprise des condamnés.
Le ministre de la Coopération internationale, Benjamin Dousa, accompagnait Johan Forssell. Les deux hommes ont posé leurs conditions sans détour devant le président syrien.
Cette stratégie marque un virage complet : l’aide humanitaire et au développement n’est plus inconditionnelle. Elle devient un levier politique direct.
Qui est concerné exactement ?
Tous les Syriens ? Non. Seule une catégorie précise est visée :
- Personnes de nationalité syrienne résidant en Suède
- Ayant été condamnées pour des infractions pénales
- Dont l’expulsion était jusqu’à présent bloquée (absence de documents, non-coopération du pays d’origine, etc.)
Ces blocages duraient parfois des années. Avec l’accord trouvé, Damas s’engage à faciliter les procédures d’identification et de retour.
Et pour ceux qui veulent rentrer volontairement ?
La discussion a également porté sur les retours volontaires. Les Syriens souhaitant regagner leur pays bénéficient déjà d’une aide financière : billet d’avion, allocation de réinstallation, prise en charge logistique.
Mais attention : le ministère suédois des Affaires étrangères maintient sa recommandation formelle de ne pas voyager en Syrie. La situation sécuritaire reste précaire dans de nombreuses régions.
Une politique qui divise profondément
Ce durcissement ne fait pas l’unanimité. Certains y voient une rupture avec les valeurs humanitaires qui ont forgé l’image de la Suède. D’autres estiment qu’un État a le droit, voire le devoir, de protéger ses citoyens en expulsant ceux qui ont commis des crimes graves.
Le débat dépasse les frontières suédoises. Plusieurs pays européens observent cette expérience avec intérêt. L’Italie, le Danemark ou l’Autriche ont déjà adopté des mesures similaires.
Ce que cela dit de l’évolution européenne
Dix ans après la crise migratoire de 2015, le paysage a radicalement changé. Les discours compassionnels ont laissé place à une realpolitik migratoire. L’accord Suède-Syrie en est l’illustration la plus récente.
Conditionner l’aide au développement à la coopération sur les retours : la méthode est assumée, directe, presque brutale. Elle risque de faire école.
Car derrière les chiffres et les accords diplomatiques, il y a des vies humaines. Des familles installées depuis dix ans. Des enfants nés en Suède. Des parcours brisés par quelques individus.
La question n’est plus seulement technique ou juridique. Elle est devenue profondément politique, éthique, humaine.
Et vous, qu’en pensez-vous ? La Suède a-t-elle raison de poser des conditions aussi fermes ? Ou franchit-elle une ligne rouge en liant aide humanitaire et expulsions ? Le débat ne fait que commencer.
En résumé : Stockholm et Damas ont ouvert une nouvelle ère de coopération pragmatique et exigeante. L’aide suédoise continuera… à condition que la Syrie reprenne ses ressortissants condamnés. Un modèle qui pourrait inspirer d’autres pays européens dans les mois à venir.









