Imaginez-vous arraché à votre maison, vos souvenirs entassés dans une valise, et poussé vers un pays que vous n’avez jamais connu. C’est la réalité de milliers d’Afghans expulsés d’Iran, traversant la frontière poussiéreuse d’Islam Qala sous un soleil implacable. Parmi eux, des familles entières, des femmes, des enfants, confrontés à un avenir incertain dans un Afghanistan sous contrôle taliban. Leurs histoires, empreintes de résilience et de désespoir, révèlent une crise humanitaire qui s’intensifie.
Une vague d’expulsions sans précédent
La frontière d’Islam Qala, située dans la province d’Hérat, est devenue le théâtre d’un exode inversé. Chaque jour, des milliers d’Afghans, ayant passé des décennies en Iran, sont forcés de rentrer dans leur pays d’origine. Ce n’est plus seulement une question de jeunes hommes cherchant du travail, mais de familles entières, déracinées par une politique iranienne de plus en plus stricte. En juin, plus de 130 000 personnes ont franchi cette frontière en une semaine, selon l’Organisation internationale pour les migrations (OIM). Parmi elles, 70 % ont été expulsées de force.
Ce phénomène, qualifié de « préoccupant » par l’ONU, marque une rupture avec le passé. Auparavant, les retours forcés concernaient principalement des hommes seuls. Aujourd’hui, les femmes et les enfants, souvent nés en Iran, se retrouvent propulsés dans un pays qu’ils ne connaissent pas, sans ressources ni attaches. Cette accélération coïncide avec une date butoir fixée par l’Iran pour le départ de millions d’Afghans considérés comme « illégaux ».
« L’Iran ne nous a jamais acceptés », confie une jeune femme de 19 ans, Hajjar, à la frontière. « Maintenant, en Afghanistan, nous n’avons rien du tout. »
Des vies brisées par l’exil forcé
Pour beaucoup, comme la fratrie Shademani, l’expulsion est un choc brutal. Hajjar, 19 ans, et ses trois frères et sœurs ont été arrêtés lors d’un raid policier à leur domicile de Chiraz, en Iran. Nés et élevés là-bas, ils n’avaient jamais foulé le sol afghan. Leurs parents, fuyant les conflits il y a quarante ans, avaient cru trouver un refuge stable. Mais aujourd’hui, leurs enfants paient le prix d’une politique migratoire intransigeante.
Leur histoire n’est pas isolée. Yadullah, 37 ans, journalier en Iran, a été jeté dans un centre de détention avant d’être reconduit à la frontière. Sans bagages, avec un téléphone cassé, il n’a plus que ses vêtements pour repartir de zéro. Ses trois enfants, restés en Iran, sont malades, et il ignore comment les ramener. « Je vais dormir sur des cartons ici jusqu’à ce que je trouve une solution », explique-t-il, désemparé.
Des familles déchirées, des rêves brisés : chaque expulsion raconte une histoire de perte et d’incertitude.
L’éducation, un droit perdu
Pour les jeunes femmes comme Hajjar, le retour en Afghanistan signifie bien plus qu’un déracinement. C’est la fin d’un accès à l’éducation, un droit fondamental banni pour les filles de plus de 12 ans sous le régime taliban. « J’adore étudier », raconte Hajjar en anglais, une langue qu’elle maîtrise avec fierté. Mais en Afghanistan, ses aspirations s’éteignent face à une réalité implacable : l’interdiction scolaire imposée aux filles, unique au monde.
Les femmes et adolescentes expulsées, souvent vêtues à l’iranienne avec des voiles colorés, se distinguent à Islam Qala. Leur apparence contraste avec le shalwar kameez, l’habit traditionnel revenu en force sous les talibans. Ce détail vestimentaire illustre leur déconnexion avec un pays qu’elles découvrent, souvent pour la première fois.
Une crise humanitaire en expansion
Les chiffres parlent d’eux-mêmes. Depuis janvier, près de 700 000 Afghans ont été expulsés d’Iran, et un million au total, en comptant ceux du Pakistan. Ce mouvement massif met à rude épreuve les capacités d’accueil en Afghanistan, un pays déjà ravagé par la pauvreté et le chômage. Avec la perte de l’aide internationale, qui soutenait autrefois l’économie, les autorités talibanes peinent à répondre aux besoins des rapatriés.
Les organisations humanitaires, comme l’OIM, sont débordées. À Hérat, elles tentent de fournir un repas chaud, une nuitée ou une aide minimale aux plus vulnérables. Mais face à l’ampleur de la crise, ces efforts restent insuffisants. Les agences onusiennes estiment que jusqu’à six millions d’Afghans pourraient être forcés de quitter l’Iran et le Pakistan dans les mois à venir.
Statistiques clés | Chiffres |
---|---|
Afghans expulsés d’Iran (janvier-juin) | 691 049 |
Expulsions forcées | 70 % |
Afghans traversant Islam Qala (21-28 juin) | 131 912 |
Un avenir incertain sous les talibans
Pour les rapatriés, l’Afghanistan offre peu de perspectives. La province de Daikundi, où certains comme Yadullah espèrent s’installer, est marquée par une pauvreté endémique. Trouver un emploi dans un pays où le chômage explose est une gageure. Les talibans, non reconnus par la communauté internationale, n’ont ni les moyens ni les structures pour intégrer ces populations.
Abdul Salam Hanafi, vice-Premier ministre afghan, a tenté de rassurer en promettant que les droits des Afghans en Iran seraient respectés et que leurs biens confisqués seraient rendus. Mais sur le terrain, ces promesses sonnent creux. Les rapatriés, comme Bahara, 19 ans, qui soutenait ses huit sœurs en Iran, se retrouvent sans ressources. « Nous n’avons ni maison ni argent », déplore-t-elle. « Nous n’avons aucun homme dans notre famille pour travailler. »
« Nous n’avons rien du tout », répète Bahara, 19 ans, face à un avenir incertain en Afghanistan.
Les défis des organisations humanitaires
Face à cette crise, les organisations internationales sont à bout de souffle. Les fonds humanitaires se tarissent, tandis que les besoins explosent. Les ONG peinent à fournir des services de base, comme un abri ou de la nourriture, aux rapatriés. À Hérat, l’OIM distribue des repas chauds, mais cela ne suffit pas à répondre à l’ampleur du défi.
Les familles comme celle de Bahara, sans hommes pour subvenir à leurs besoins, sont particulièrement vulnérables. Dans un pays où les restrictions imposées aux femmes limitent leur accès au travail, leur survie dépend souvent de l’aide extérieure. Pourtant, cette aide s’amenuise, laissant des milliers de personnes dans une précarité extrême.
- Manque de fonds : Les agences onusiennes perdent leurs ressources financières.
- Augmentation des expulsions : Jusqu’à six millions d’Afghans pourraient être rapatriés.
- Absence d’infrastructures : L’Afghanistan manque de moyens pour intégrer les rapatriés.
Un exode aux multiples visages
Chaque rapatrié porte une histoire unique, mais tous partagent un sentiment d’abandon. Les enfants, nés en Iran, découvrent un pays où leurs rêves d’éducation ou de stabilité s’effondrent. Les femmes, comme Bahara, doivent naviguer dans un système qui limite leurs droits. Les hommes, comme Yadullah, jonglent entre désespoir et espoir ténu de retrouver leur famille.
Islam Qala, autrefois passage pour les travailleurs migrants, est désormais un symbole de cette crise. Les valises usées, les visages fatigués et les téléphones cassés racontent une histoire universelle : celle de l’exil forcé et de l’incertitude. Alors que l’Iran accélère ses expulsions, l’Afghanistan, déjà fragilisé, risque de sombrer sous le poids de cette vague migratoire.
Que faire face à cette crise ?
La communauté internationale se trouve face à un dilemme. Comment répondre à une crise humanitaire d’une telle ampleur sans moyens suffisants ? Les appels à l’aide se multiplient, mais les ressources manquent. Les pays voisins, comme l’Iran et le Pakistan, durcissent leurs politiques migratoires, accusant les Afghans de tous les maux. Pendant ce temps, les rapatriés tentent de reconstruire leur vie dans un pays en ruines.
Pour des jeunes comme Hajjar, l’avenir se résume à une question : comment survivre dans un pays qui leur refuse les droits les plus élémentaires ? Pour des familles comme celle de Bahara, c’est une lutte quotidienne pour trouver un toit et de quoi manger. Et pour des hommes comme Yadullah, c’est un combat pour réunir leurs proches dans un pays qui offre si peu d’espoir.
Face à l’exode, l’humanité doit-elle fermer les yeux ou tendre la main ?
Cette crise migratoire, bien plus qu’un simple déplacement de populations, interroge notre capacité à répondre aux drames humains. À Islam Qala, sous la poussière et la chaleur, des milliers d’Afghans attendent une réponse, un signe, un avenir. Leur histoire, c’est celle d’un monde confronté à ses propres limites.