Imaginez-vous sur l’autoroute à 130 km/h. Trois policiers dans la voiture, un homme menotté à l’arrière qui doit prendre l’avion dans quelques heures pour être expulsé. Et soudain, il décide que personne ne rentrera vivant ce soir-là.
Cette scène digne d’un thriller s’est réellement déroulée le 30 novembre 2025 sur l’A34, à hauteur de Vrigne-aux-Bois dans les Ardennes. Le protagoniste : Karim Nasrallah, quadragénaire installé à Sedan, sous le coup d’une obligation de quitter le territoire français (OQTF) depuis déjà deux ans.
Une escorte qui vire au cauchemar
Ce jour-là, les policiers connaissent bien le parcours. Direction Roissy-Charles-de-Gaulle, vol pour Tunis, fin de l’histoire. Sauf que l’intéressé n’a visiblement pas la même vision des choses.
À peine l’autoroute atteinte, l’homme commence à s’agiter. Menaces de mort, insultes, puis l’irréparable : il se contorsionne malgré les menottes, passe par-dessus la banquette et assène un violent coup de pied au conducteur. Le véhicule fait une embardée, les autres voitures klaxonnent, le drame n’est pas loin.
Dans le même temps, il crache sur les agents, tente de mordre, hurle qu’il va tous les tuer. L’un des policiers parvient à immobiliser le forcené tandis que le conducteur reprend le contrôle du véhicule sur la bande d’arrêt d’urgence. Plusieurs fonctionnaires seront blessés et se verront délivrer des ITT.
Deux ans d’OQTF ignorées
Ce qui frappe dans cette affaire, c’est la durée. Deux années que cet homme cumule les obligations de quitter le territoire sans qu’aucune ne soit exécutée. Recours, avocats spécialisés, arguties administratives : le parcours classique qui transforme une mesure d’éloignement en simple papier sans effet.
Le président du tribunal correctionnel de Charleville-Mézières ne mâche pas ses mots lors de l’audience du 2 décembre :
« Cela fait deux ans que vous avez des OQTF qui ne sont pas exécutées. Si vous n’êtes pas d’accord, il faut faire des recours, il y a des avocats spécialisés qui peuvent vous aider. »
Une phrase qui résume à elle seule l’impuissance parfois ressentie face à un système où l’expulsion devient une loterie administrative.
Un mélange linguistique révélateur
Autre détail savoureux de l’audience : le prévenu s’exprime dans un mélange improbable de français et… d’italien. L’interprète arabe présente reste sans voix. Le président, agacé, tranche :
« Soit vous parlez français, soit arabe, mais pas italien, parce qu’on n’a pas de traducteur italien. »
Ce petit épisode en dit long sur les parcours migratoires complexes de certains individus : Tunisie, Italie, France… avec, semble-t-il, une parfaite maîtrise des failles de chaque système.
Une condamnation immédiate et lourde
Le tribunal ne traîne pas. Violence sur personne dépositaire de l’autorité publique, rébellion, mise en danger de la vie d’autrui : la peine tombe, lourde et sans appel.
12 mois de prison ferme avec maintien en détention.
Autrement dit, l’expulsion attendra. Ironie du sort : l’homme qui voulait à tout prix ne voulait pas monter dans cet avion va rester encore de longs mois sur le sol français, mais cette fois derrière les barreaux.
Des policiers sous tension permanente
Cette affaire met cruellement en lumière la dangerosité croissante des escortes vers les centres de rétention ou les aéroports. Ces missions, autrefois considérées comme administratives, ressemblent de plus en plus à des opérations à risque.
En 2024 déjà, plusieurs incidents graves avaient été recensés : tentative d’étranglement d’un pilote, ouverture de porte en plein vol, agressions au cutter… Chaque escorte devient une partie d’échecs où la vie des agents est mise en jeu.
Et quand on sait que plus de 120 000 OQTF sont prononcées chaque année mais que seules 7 à 10 % sont effectivement exécutées, on mesure l’ampleur du défi.
Paradoxalement, c’est souvent la commission d’une infraction pénale qui permet enfin d’éloigner durablement certains individus en situation irrégulière. Sans cette agression, Karim Nasrallah serait probablement encore libre, malgré ses multiples OQTF.
La prison ferme prononcée ouvre la voie, à l’issue de la peine, à une exécution effective de l’expulsion avec interdiction définitive du territoire français. Un parcours détourné, mais parfois le seul efficace.
L’attitude du prévenu durant l’audience – provocation, refus de coopérer, menaces à peine voilées – montre à quel point certains se sentent intouchables après des années d’impunité administrative.
Cette fois, le message est clair : tenter de tuer des policiers pour éviter une expulsion ne paie pas. Au contraire, cela garantit une présence prolongée en prison avant le départ définitif.
Une forme de justice, même si elle arrive par la porte dérobée du fait divers dramatique.
Rappel des faits en quelques points : Cette affaire, au-delà du fait divers, interroge notre capacité collective à faire respecter les décisions de justice en matière d’immigration. Quand l’administration patine, c’est parfois la répression pénale qui, brutalement, remet les pendules à l’heure.
Et pendant ce temps, les policiers, eux, risquent leur vie pour appliquer des mesures que d’autres, en amont, n’ont pas su ou voulu exécuter.
Une réalité crue, mais une réalité.
Un sentiment d’impunité brisé net









