C’est une affaire qui fait grand bruit dans le sud-ouest de la France. Le président nigérien d’une mosquée de Gironde, en voie d’expulsion depuis le mois d’août dernier, vient d’être assigné à résidence après avoir atteint la durée légale maximale de rétention administrative en région parisienne. Un dossier brûlant et complexe, entre accusations graves des autorités et zones d’ombre, qui est loin d’être refermé.
De lourdes accusations à l’encontre de l’imam
Âgé de 59 ans, Abdourahmane Ridouane, qui préside la mosquée d’une commune de l’agglomération bordelaise, a été interpellé à son domicile le 8 août dernier en application d’un arrêté d’expulsion émis par le ministère de l’Intérieur. Les autorités lui reprochent des propos polémiques tenus ou relayés sur les réseaux sociaux, accusant notamment la France de pratiquer une “islamophobie d’État”.
Mais les griefs ne s’arrêtent pas là. L’imam est aussi accusé d’avoir “justifié des actes terroristes” et “provoqué à la discrimination ou à la haine envers les pays occidentaux, l’État d’Israël ainsi que l’ensemble des personnes de religion juive”. En cause notamment, des messages qui auraient “légitimé” une attaque du Hamas contre Israël en octobre 2023, ou encore des hommages appuyés à l’ex-chef du mouvement islamiste palestinien après son assassinat en juillet à Téhéran.
90 jours de rétention administrative
Après son interpellation en août, Abdourahmane Ridouane a été placé dans un centre de rétention administrative en région parisienne, pour une durée légale maximale de 90 jours qui a expiré ce mercredi matin. Selon la préfecture, les autorités de son pays d’origine n’ayant pas encore délivré de laissez-passer consulaire, la procédure d’expulsion va désormais se poursuivre sous le régime de l’assignation à résidence.
Il demeure désormais en situation irrégulière sur le territoire et ne sera pas régularisé. Il doit pointer trois fois par jour au commissariat, n’a pas le droit de travailler et ses déplacements sont autorisés dans les limites de la commune.
La préfecture de Gironde
Une procédure pénale en parallèle pour “apologie du terrorisme”
Parallèlement à cette procédure administrative d’expulsion, l’imam de Pessac doit comparaître le 13 janvier prochain devant le tribunal correctionnel de Meaux en Seine-et-Marne pour “apologie du terrorisme”. Cette procédure pénale, déclenchée suite à un signalement du ministère de l’Intérieur, repose sur les mêmes éléments que le volet administratif de l’affaire.
En attendant son procès, Abdourahmane Ridouane a été placé sous contrôle judiciaire avec obligation de pointer une fois par semaine au commissariat et interdiction de quitter le territoire français. Une situation inextricable pour l’imam qui est donc à la fois assigné à résidence en vue de son expulsion du territoire, et interdit d’en partir par la justice dans le cadre de son contrôle judiciaire.
L’avocat de l’imam dénonce un “acharnement” et va contester
Pour l’avocat d’Abdourahmane Ridouane, Me Sefen Guez Guez, les conditions de l’assignation à résidence “relèvent clairement de l’acharnement”, avec une obligation de pointage “21 fois plus restrictive” que celle prévue par le contrôle judiciaire. Il compte contester ces mesures devant le tribunal administratif.
L’imam nie pour sa part les accusations portées contre lui et assure qu’il compte s’expliquer lors de son procès. Ses partisans dénoncent un “deux poids, deux mesures” et une “persécution” à son encontre en raison de son engagement religieux et communautaire.
Une affaire symptomatique des tensions
Au-delà du cas individuel d’Abdourahmane Ridouane, cette affaire illustre les vives tensions qui traversent la société française sur les questions de laïcité, de radicalisation et de rapports entre l’État et l’islam. Dans un contexte sécuritaire toujours sensible, marqué par la menace terroriste, les autorités se montrent particulièrement vigilantes et intransigeantes face à des personnalités religieuses au discours controversé.
Mais pour certains observateurs, cette fermeté confine parfois à une forme d’excès de zèle, voire d'”islamophobie d’État” dénoncée par l’imam nigérien, au risque d’attiser les tensions communautaires. Un équilibre délicat et un débat de fond qui est loin d’être tranché, comme en témoigne cette affaire aux multiples rebondissements qui devrait encore faire couler beaucoup d’encre dans les prochains mois.