Nguyen Thi Hiep, 42 ans, ne retournera pas travailler à Ho Chi Minh-Ville après le Nouvel An lunaire cette année. Comme de nombreux ouvriers vietnamiens, elle préfère désormais vivre à la campagne plutôt que de s’épuiser dans les usines des grandes villes où le coût de la vie explose. Un phénomène qui prend de l’ampleur et commence à affecter l’économie du pays.
Des ouvriers au bout du rouleau
Après 16 ans passés à confectionner des chaussures pour des grands noms occidentaux comme Nike ou Adidas, Nguyen Thi Hiep est à bout : « Je travaille du lever au coucher du soleil mais j’ai toujours du mal à payer mon loyer. La vie est devenue trop dure ici. » Son constat est partagé par un nombre croissant d’ouvriers qui estiment avoir fait leur temps dans la capitale économique du Vietnam.
Depuis l’ouverture du pays à l’économie de marché dans les années 80, des millions de jeunes ruraux ont migré vers les zones industrialisées, attirés par la promesse de meilleurs salaires et d’un emploi stable. Mais aujourd’hui, beaucoup déchantentet décident de faire machine arrière.
Le revers de la médaille du miracle économique
Si les exportations de produits bon marché ont contribué à sortir le Vietnam de la pauvreté, cette croissance effrénée a aussi eu des conséquences négatives : hausse du coût de la vie, mégalopoles tentaculaires et polluées… La main-d’œuvre ouvrière qui a porté le développement du pays paye aujourd’hui le prix fort.
Les ouvriers sont soumis à un stress élevé qui contribue à détériorer leur santé.
Nguyen Thi Minh Ngoc, responsable d’un cabinet de recrutement
Des conditions de vie et de travail déplorables
Malgré des salaires supérieurs à la moyenne nationale, de nombreux ouvriers peinent à joindre les deux bouts. Nguyen Thi Hiep et son mari chauffeur de moto-taxi doivent se contenter d’un appartement de 10m2 pour élever leur fille. Sans véritable protection sociale et soumis à des cadences infernales, beaucoup n’en peuvent plus.
En plus des logements indignes, du stress et de la pollution, la santé des travailleurs se dégrade. Certains font le choix déchirant de se séparer de leurs enfants, les renvoyant vivre à la campagne pour leur épargner ces conditions de vie.
L’appel de la campagne
Face à des villes devenues invivables et des emplois mal rémunérés, l’exode urbain s’accélère. Selon une étude, plus de 60% des ouvriers de Ho Chi Minh-Ville envisageraient de quitter la ville. Même constat dans les autres grandes agglomérations du pays où le nombre de nouveaux arrivants chute d’année en année.
- Moins de 65 000 migrants arrivés à Ho Chi Minh-Ville en 2023 contre 180 000 en 2020
- Les campagnes offrent de meilleures conditions de vie qu’auparavant
Pour Nguyen Thi Hiep, la décision est prise. Elle partira retrouver sa région natale montagneuse de Quang Binh, à une journée de bus, pour le Nouvel An lunaire. « J’ai hâte de pouvoir jouer au volley et passer du temps avec mes voisins », se réjouit-elle.
Les entreprises face à une pénurie de main-d’œuvre
Ce phénomène migratoire n’est pas sans conséquence pour les entreprises locales. Près d’un tiers des usines de Ho Chi Minh-Ville ont déjà été confrontées à un manque d’ouvriers. La plupart peinent aujourd’hui à recruter alors que la demande ne faiblit pas.
La ville n’a pas su créer suffisamment d’emplois de meilleure qualité pour retenir cette main-d’œuvre.
Pham Van Dai, professeur d’économie
Le Vietnam est-il en train de vivre une désindustrialisation précoce, victime de son succès économique fulgurant ? L’exode des ouvriers pourrait en tout cas le contraindre à repenser en profondeur son modèle de développement basé sur une main-d’œuvre bon marché et corvéable à merci. Le pays devra trouver un meilleur équilibre entre croissance et bien-être de sa population s’il veut éviter une crise économique et sociale majeure.
