Imaginez la scène : une agente pénitentiaire fait sa ronde habituelle dans les couloirs du centre de détention du Pontet, près d’Avignon. Tout à coup, un détenu baisse son pantalon et lui expose ostensiblement ses parties intimes. Ce n’est ni la première ni la dernière fois. L’homme, déjà incarcéré pour les mêmes faits, semble incapable de s’en empêcher. Le 2 décembre dernier, le tribunal correctionnel d’Avignon a tranché : deux années de prison ferme supplémentaires.
Un comportement compulsif qui défie l’enfermement
Ce genre d’histoire laisse rarement indifférent. On pourrait presque en rire si les conséquences n’étaient pas aussi graves pour les victimes – agentes, infirmiers, conseillers d’insertion – qui se retrouvent exposées à une violence sexuelle banalisée derrière les murs. Pourtant, l’affaire illustre un phénomène plus large : celui des troubles du comportement en milieu carcéral et de la difficulté, pour le système judiciaire et pénitentiaire, d’y apporter une réponse efficace.
Le prévenu, décrit comme un « grand gaillard », n’en est clairement pas à son coup d’essai. Incarcéré initialement pour exhibition sexuelle, il a récidivé à de multiples reprises à l’intérieur même de la prison. Gendarmes lors d’une extraction, personnel soignant, conseillère pénitentiaire… personne n’a été épargné. Le président du tribunal a même dû lui demander de « ne pas trop mimer » pendant sa propre explication.
La récidive en prison : un tabou rarement évoqué
Beaucoup imaginent la prison comme un lieu où tout comportement déviant s’arrête net, par peur de la sanction ou par peur de la sanction. La réalité est bien plus nuancée. Certains détenus, porteurs de troubles psychiatriques ou de paraphilies profondément ancrées, continuent leurs agissements même sous haute surveillance.
L’exhibitionnisme, classé parmi les paraphilies dans le DSM-5, peut devenir compulsif au point de résister à toute forme de dissuasion. Des études montrent que près de 30 % des exhibitionnistes récidivent dans les cinq ans suivant une première condamnation. En prison, ce taux grimpe quand le suivi psychologique fait défaut ou quand la surpopulation empêche toute prise en charge individuelle.
« L’enfermement n’éteint pas automatiquement les pulsions. Parfois, il les exacerbe, surtout quand le sentiment d’impunité relatif que certains ressentent à l’abri des regards extérieurs. »
Psychiatre pénitentiaire ayant requis l’anonymat
Des victimes dans l’ombre : le personnel pénitentiaire exposé
Ce que l’on oublie souvent, c’est que les premières victimes ne sont pas dehors, mais à l’intérieur. Les agentes et agents pénitentiaires, déjà soumis à un stress chronique, se retrouvent confrontés à des agressions sexuelles répétées. Harcèlement, insultes, exhibition, masturbation en leur présence… les syndicats alertent depuis des années sur cette violence sexuelle banalisée.
Une surveillante témoignait récemment dans un rapport interne : « On nous forme à gérer les coups, les prises d’otage, mais jamais à gérer quelqu’un qui se masturbe devant nous plusieurs fois par semaine. On finit par banaliser, alors que c’est une agression à part entière. »
- 70 % des personnels pénitentiaires déclarent avoir été victimes ou témoins d’exhibition sexuelle
- Seulement 12 % portent plainte, par peur du ridicule ou par habitude
- Moins de 5 % des auteurs font l’objet d’un suivi psychiatrique adapté en détention
Pourquoi une telle réponse pénale sévère ?
Deux ans ferme pour des faits d’exhibition peut paraître disproportionné au premier abord. Pourtant, le parquet a justifié cette peine par trois éléments cumulés :
- La récidive caractérisée (l’homme était déjà détenu pour les mêmes faits identiques)
- Le nombre de victimes (plusieurs personnels distincts)
- Les violences commises le même jour sur personnes dépositaires de l’autorité publique
En France, l’exhibition sexuelle aggravée (en présence de mineurs ou récidive) peut aller jusqu’à 3 ans d’emprisonnement et 45 000 € d’amende. Ici, le tribunal a choisi une peine dans la fourchette haute pour marquer le coup et protéger le personnel.
Un système pénitentiaire dépassé par les troubles psychiatriques
Derrière ce cas particulier se cache une problématique bien plus large : la prise en charge des détenus souffrant de troubles mentaux graves. Selon un rapport récent du Contrôleur général des lieux de privation de liberté, près de 30 % des détenus présenteraient des pathologies psychiatriques nécessitant un suivi renforcé. Or, les unités hospitalières spécialement aménagées (UHSA) sont saturées et les psychiatres manquent cruellement.
L’exhibitionnisme compulsif s’accompagne souvent d’autres troubles : personnalité borderline, traumatismes anciens, addictions. Sans traitement, la prison devient un simple entrepôt où les comportements pathologiques se perpétuent, au détriment de tous.
À lire aussi : Comment la surpopulation carcérale aggrave les troubles mentaux et multiplie les incidents.
Et maintenant ? Vers une obligation de soins renforcée ?
Certaines voix, parmi les magistrats et les psychiatres, appellent à systématiser l’injonction de soins pour les délinquants sexuels, même en détention. Actuellement facultative, elle pourrait devenir obligatoire dès la première récidive. D’autres proposent la création de quartiers spécifiques pour les auteurs de paraphilies, afin d’éviter le contact avec le personnel féminin.
Mais ces solutions coûtent cher et se heurtent à la réalité budgétaire de l’administration pénitentiaire. En attendant, ce sont les agentes et les surveillants qui continuent de payer le prix fort.
L’histoire de ce détenu du Pontet n’est malheureusement pas isolée. Elle révèle les failles d’un système qui punit sans toujours parvenir à guérir, et qui laisse ses propres agents en première ligne face à des comportements qu’aucune grille ne peut totalement empêcher.
Derrière les murs, la violence sexuelle ne prend pas de pause. Et tant que la prise en charge psychiatrique restera le parent pauvre de la prison française, d’autres personnels continueront de vivre ce cauchemar au quotidien.









