Imaginez un instant : un roi européen assis sur une chaise traditionnelle, face à des chefs marrons et autochtones, tandis que des esprits semblent flotter au-dessus de la rivière Suriname. Ce n’est pas une scène de film. C’est ce qui s’est réellement passé il y a quelques jours à Paramaribo. Un moment où l’histoire, lourde de plusieurs siècles de souffrance, a peut-être commencé à tourner une page.
Un geste historique enfin accepté
Lundi dernier, les descendants d’esclaves africains et les représentants des peuples autochtones du Suriname ont officiellement accepté les excuses présentées par le roi Willem-Alexander pour le rôle des Pays-Bas dans l’esclavage. Un acte fort, prononcé en 2023, qui trouve aujourd’hui une réponse positive et solennelle.
Wilgo Ommen, porte-parole des communautés autochtones, a déclaré avec une gravité empreinte d’espoir : « Nous acceptons les excuses et la demande de pardon dans la pleine conviction que le roi, avec une conscience claire, souhaite coopérer à la guérison et à la restauration ».
Une visite royale lourde de symboles
Le roi et la reine Maxima ont atterri dimanche à Paramaribo pour une visite officielle de trois jours. C’est la première fois en quarante-sept ans qu’un souverain néerlandais fouler le sol surinamien. Le timing n’est pas anodin : le pays vient de célébrer le cinquantième anniversaire de son indépendance, le 25 novembre.
Petit État d’Amérique du Sud bordé par l’Atlantique, le Suriname reste marqué par un passé tumultueux : coups d’État, rébellions, dictature militaire. Pourtant, les récentes découvertes de réserves pétrolières offshore laissent entrevoir un avenir économique plus radieux.
La cérémonie de réconciliation : entre tradition et émotion
Avant la réunion à huis clos, une cérémonie publique de réconciliation a eu lieu. Le roi était assis dans une chaise spécialement conçue, face à un chef autochtone et un chef marron. Autour d’eux, des leaders spirituels Winti ont accompli des rituels ancestraux.
Herbes sacrées, cordes, tissus, et surtout un matta – ce mortier traditionnel – ont été utilisés. Une fois le rituel terminé, le mortier a été déposé dans un bateau sur la rivière. Objectif symbolique : permettre à l’esprit de la nature d’emporter les blessures du passé et de poursuivre la guérison.
« C’est un moment pour venir vous écouter, entendre ce qui résonne en vous, apprendre de vous comment nous pouvons continuer à construire un avenir ensemble entre le Suriname et les Pays-Bas »
Le roi Willem-Alexander
Le souverain n’a pas caché son émotion. Il a reconnu que « la douleur du passé perdure pour des générations » et s’est dit « responsable des actes de ses prédécesseurs ».
Un fonds de 66 millions d’euros annoncé
Au nom du roi, le ministre néerlandais des Affaires étrangères, David van Weel, a révélé la création d’un fonds de 66 millions d’euros. Cette enveloppe sera dédiée à des projets sociaux au bénéfice direct des descendants d’esclaves et des peuples autochtones.
Cette annonce concrète vient compléter les excuses officielles présentées d’abord par l’ancien Premier ministre Mark Rutte en décembre 2022, puis par le roi lui-même en 2023.
La question des réparations reste ouverte
Malgré l’acceptation des excuses, la présidente du Parlement surinamien, Jennifer Geerlings-Simons, n’a pas éludé le sujet sensible des réparations financières. « Les pertes subies sont importantes », a-t-elle rappelé calmement.
Sans entrer dans les détails lors de la cérémonie, elle a insisté : cette question « devra être abordée un jour ». Un message clair : l’acceptation des excuses marque un début, pas une fin.
« Aujourd’hui, nous avons l’opportunité de faire un pas vers la construction d’un chemin commun. Ce n’est pas une tâche facile, mais si nous travaillons ensemble, comme nos ancêtres l’ont prouvé, nous avancerons »
Jennifer Geerlings-Simons
Des relations diplomatiques en dents de scie
Les relations entre les deux pays n’ont pas toujours été au beau fixe. Elles ont été rompues en 1982 sous le régime militaire de Desi Bouterse, rétablies en 1988 avec le retour de la démocratie, puis de nouveau suspendues pendant sa présidence de 2010 à 2020.
Aujourd’hui, le Parti national démocratique (NDP), fondé par Bouterse, est toujours dirigé par la présidente du Parlement. Un contexte politique complexe qui rend cette visite d’autant plus significative.
Pourquoi ce moment est-il si important ?
Cette acceptation des excuses dépasse le simple protocole. Elle s’inscrit dans un mouvement mondial où d’anciennes puissances coloniales reconnaissent enfin leur passé esclavagiste. Les Pays-Bas ne sont pas les premiers, mais le caractère solennel et rituel de la cérémonie surinamienne marque les esprits.
En mêlant traditions Winti, paroles royales et engagements financiers, cette rencontre a créé un espace où le passé peut être regardé en face, sans être nié ni minimisé.
Le bateau emportant le mortier sur la rivière symbolise parfaitement cette idée : on ne peut effacer l’histoire, mais on peut choisir de ne plus la laisser nous enchaîner.
Et maintenant ?
Le fonds de 66 millions d’euros sera-t-il suffisant ? La question des réparations plus larges sera-t-elle réellement mise sur la table ? Comment les projets sociaux seront-ils choisis et gérés ? Autant de questions qui restent en suspens.
Mais pour la première fois depuis des décennies, un dialogue franc et respectueux semble possible. Les descendants d’esclaves et les peuples autochtones ont accepté les excuses. Ils ont aussi posé leurs conditions pour l’avenir.
Ce qui s’est passé à Paramaribo n’est pas une fin. C’est un commencement.
À retenir : Un roi européen a participé à un rituel africain-surinamien pour demander pardon. Les excuses ont été acceptées. Un fonds de 66 millions d’euros a été annoncé. La question des réparations reste posée. Un pas immense vient d’être franchi vers la réconciliation.
L’histoire, parfois, avance à pas de géant quand on ose enfin se regarder dans les yeux.









