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Éthiopie : Ex-Ministre Condamné à 7 Ans de Prison

Un ancien ministre proche d’Abiy Ahmed vient d’être condamné à sept ans de prison pour détention d’armes. Son avocat crie au complot politique et promet l’appel. Quand la sécurité personnelle devient un crime d’État… L’affaire qui secoue l’Éthiopie et révèle les tensions explosives au cœur du pouvoir.

Que se passe-t-il quand un haut responsable, hier encore au cœur du pouvoir, se retrouve menotté face à un juge ? En Éthiopie, l’histoire de Taye Dendea illustre à merveille la fragilité des alliances politiques dans un pays encore marqué par des années de conflits internes.

Une condamnation qui fait trembler Addis-Abeba

Vendredi dernier, la justice éthiopienne a prononcé une peine lourde : sept ans et deux mois de prison ferme, assortis d’une amende symbolique de 5 000 birrs – environ 30 euros. Le motif officiel ? Possession illégale d’armes à feu. Derrière cette accusation apparemment technique se cache pourtant une tout autre réalité.

L’homme condamné n’est pas n’importe qui. Taye Dendea a été ministre délégué à la Paix sous le gouvernement du Premier ministre Abiy Ahmed, prix Nobel de la paix 2019. Un poste stratégique occupé en pleine guerre du Tigré, ce conflit meurtrier qui a ensanglanté le nord du pays entre 2020 et 2022.

D’alliance solide à rupture brutale

Tout avait pourtant bien commencé. Originaire comme Abiy Ahmed de la région Oromia, Taye Dendea incarnait la nouvelle garde oromo arrivée au pouvoir en 2018. Enthousiaste, il défendait les réformes du jeune Premier ministre avec ferveur.

Puis les divergences sont apparues. D’abord discrètes, ensuite publiques. L’ex-ministre a commencé à critiquer ouvertement la gestion économique du gouvernement et, surtout, la réponse sécuritaire face aux violences persistantes en Oromia.

En décembre 2023, le couperet tombe : il est brutalement limogé. Quelques semaines plus tard, la police fédérale frappe à sa porte.

Une perquisition très médiatisée

Les images diffusées par les autorités sont éloquentes : armes automatiques, drapeaux de l’Armée de libération oromo (OLA), plaques d’immatriculation suspectes, téléphones portables… Tout est étalé devant les caméras comme une preuve irréfutable de trahison.

L’accusation initiale est explosive : collaboration avec un groupe classé terroriste par Addis-Abeba et tentative de renversement du gouvernement. Des chefs qui, s’ils avaient été retenus, auraient valu la prison à vie, voire pire.

« Il était une cible durant la guerre du Tigré et n’était pas suffisamment protégé »

Abera Nigus, avocat de Taye Dendea

Son défenseur, Me Abera Nigus, ne varie pas de ligne : ces armes servaient à l’autodéfense. Un argument qui prend tout son sens quand on se souvient que plusieurs hauts responsables ont été assassinés ces dernières années en Éthiopie.

Un acquittement partiel qui change tout

Le mois précédent la condamnation, un premier jugement avait pourtant innocenté Taye Dendea des accusations les plus graves. Ni soutien aux groupes armés, ni projet de coup d’État. Un soulagement de courte durée.

La justice a préféré retenir la possession illégale d’armes, un chef d’accusation plus technique, moins politique en apparence… mais qui permet malgré tout d’écarter durablement un opposant gênant.

Sept ans de prison pour des armes destinées, selon la défense, à assurer sa sécurité personnelle : la disproportion saute aux yeux.

L’Oromia, poudrière aux portes de la capitale

Pour comprendre l’ampleur du drame, il faut regarder la carte. L’Oromia entoure complètement Addis-Abeba. Cette région immense abrite près de 40 millions d’habitants – un tiers de la population éthiopienne.

Depuis 2018, les affrontements y sont quasi permanents entre l’armée fédérale et l’OLA, un mouvement issu de l’ancienne aile armée du Front de libération oromo, aujourd’hui dissidente et radicalisée.

Attentats, barrages routiers, assassinats ciblés : la violence est devenue le quotidien de millions de civils. En juillet dernier, le Comité international de la Croix-Rouge tirait déjà la sonnette d’alarme sur les « conséquences dévastatrices » du conflit.

Un précédent dangereux pour la classe politique

L’affaire Taye Dendea n’est pas isolée. Elle s’inscrit dans une série d’arrestations et de procès qui touchent d’anciens alliés du pouvoir ayant osé critiquer la ligne officielle.

Quand un ex-ministre peut passer en quelques mois du palais gouvernemental à la prison pour des armes d’autodéfense, quel message cela envoie-t-il aux autres cadres du régime ?

La peur de parler, déjà palpable, risque de s’installer durablement.

Appel en vue et bataille de l’opinion

L’avocat a d’ores et déjà annoncé faire appel de la décision. Un nouveau chapitre judiciaire s’ouvre, qui pourrait durer des mois, voire des années.

En attendant, l’affaire alimente les débats dans les cafés d’Addis-Abeba et sur les réseaux sociaux. Pour les uns, c’est la preuve que personne n’est au-dessus des lois. Pour les autres, le signe d’une dérive autoritaire inquiétante.

Sur sa page Facebook, juste après son limogeage, Taye Dendea avait publié la lettre de Abiy Ahmed en la qualifiant de « sauvage jouant avec le sang humain ». Des mots durs qui, aujourd’hui, résonnent comme une prophétie.

Vers une impossible réconciliation nationale ?

Depuis la fin officielle de la guerre du Tigré en novembre 2022, l’Éthiopie d’Abiy Ahmed promettait la réconciliation. Mais deux ans plus tard, les conflits se multiplient : Amhara, Oromia, et maintenant des tensions jusqu’au sein même du pouvoir.

La condamnation d’un ancien ministre oromo, issu du même camp que le Premier ministre, montre à quel point les fractures restent profondes. Même au sommet de l’État.

Dans ce contexte, la peine prononcée contre Taye Dendea apparaît moins comme une simple affaire judiciaire que comme un avertissement à toute une génération politique : critiquer peut coûter très cher.

L’Éthiopie, deuxième pays le plus peuplé d’Afrique, continue sa marche chaotique vers un avenir incertain. Et l’histoire de cet ex-ministre devenu prisonnier politique en dit long sur les défis immenses qui restent à relever.

À retenir : Une condamnation de sept ans pour armes illégales, un acquittement sur les accusations terroristes, un appel annoncé et une défense qui crie au règlement de comptes. L’affaire Taye Dendea cristallise toutes les tensions qui traversent actuellement l’Éthiopie.

Derrière les barreaux, l’ancien ministre délégué à la Paix attend désormais le prochain acte de ce drame judiciaire. Un drame qui, loin de se limiter à un homme, concerne tout un pays en quête de stabilité.

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