Imaginez un allié historique qui, du jour au lendemain, vous regarde dans les yeux et vous dit calmement : « Désormais, je passe en premier. »
C’est exactement le message que la nouvelle stratégie nationale de sécurité américaine vient d’envoyer à l’Europe entière. Et à Paris, on ne prend pas de gants pour le dire : ce n’est pas un accident de parcours, c’est une tendance lourde, profonde, et elle ne fera que s’accentuer.
Un tournant assumé et brutal
La ministre déléguée Alice Rufo l’a affirmé devant les députés avec une franchise rare : cette doctrine marque « une clarification extrêmement brutale de la posture idéologique des États-Unis ». Exit la recherche systématique du compromis au sein des alliances. Place au primat absolu des intérêts nationaux américains.
Ce n’est pas une surprise totale. Les signaux étaient là depuis des années. Mais le document publié récemment les cristallise avec une netteté qui ne laisse plus place au doute. L’Europe n’est plus vue comme un partenaire prioritaire, mais comme un continent en déclin, trop laxiste sur les questions migratoires et incapable de peser seul face aux grandes puissances.
« Nous y sommes, ça va continuer. Nous vivons dans un monde de carnivores, l’Europe n’est pas une île et elle se fera respecter si elle sait apprendre à se faire respecter. »
Alice Rufo, ministre déléguée
L’Amérique d’abord, l’Europe ensuite… ou jamais
Le texte américain recentre clairement les priorités sur le continent américain. L’Europe apparaît comme une zone secondaire, presque résiduelle. Pire : certains passages laissent entendre que le Vieux Continent porte une part de responsabilité dans son propre affaiblissement, notamment à cause de politiques jugées trop ouvertes.
Pour Washington, l’époque où les États-Unis jouaient les gendarmes bénévoles du monde libre semble révolue. L’OTAN reste mentionnée, mais plus comme un outil au service des intérêts américains que comme un pacte sacré d’assistance mutuelle.
Ce changement de paradigme n’est pas seulement rhétorique. Il se traduit déjà dans les faits : pressions commerciales accrues, menaces de droits de douane, volonté de rapatrier des chaînes de production, et surtout une exigence claire : que l’Europe paie davantage pour sa propre défense.
Paris sonne l’alarme : il est temps de grandir
La réponse française est sans ambiguïté. Il n’est plus question d’attendre un hypothétique retour en arrière américain. L’Europe doit assumer sa propre sécurité, et vite.
Alice Rufo l’a martelé : « Nous devons accélérer le réarmement de la France et de l’Europe ». Que ce soit à 27, dans des formats réduits ou en coalitions de volontaires, l’urgence est la même.
Et cette accélération ne peut pas se faire n’importe comment. La ministre insiste sur un point crucial : le critère industriel. Chaque euro investi doit renforcer l’industrie européenne de défense, pas remplir les carnets de commandes américains.
« De retour de Washington, je peux vous dire que c’est bien l’industrie qui est le nerf de la guerre. »
Le piège de la dépendance aux matériels américains
C’est là que le bât blesse. Plusieurs pays européens, par habitude ou par manque d’alternatives, continuent d’acheter massivement du matériel outre-Atlantique. Avions de combat, missiles, systèmes de défense antiaérienne… la liste est longue.
Cette dépendance pose deux problèmes majeurs :
- Elle affaiblit l’autonomie stratégique européenne
- Elle prive nos industries d’oxygène financier dont elles ont désespérément besoin pour se développer
Dans le contexte actuel, continuer sur cette voie reviendrait à scier la branche sur laquelle nous sommes assis. Quand votre principal allié vous dit ouvertement qu’il pourrait ne plus être là demain, il est temps de fabriquer ses propres armes.
Vers une véritable souveraineté industrielle ?
La France pousse donc pour que tout financement européen additionnel bénéficie en priorité aux entreprises du continent. Cela suppose de surmonter des réticences historiques et de convaincre certains partenaires que l’industrie européenne peut, à terme, répondre aux besoins.
Le défi est immense. Capacités de production limitées, fragmentation des commandes, concurrence interne… Mais l’alternative – rester dépendant d’un partenaire qui se détourne – est pire encore.
Paris propose donc une double approche :
- Accélérer les programmes communs déjà lancés (SCAF, MGCS, Eurodrone…)
- Lancer de nouveaux projets en format réduit mais opérationnel rapidement
- Conditionner les aides européennes au « Buy European Act » version défense
Un monde de carnivores
L’expression employée par la ministre a fait mouche : « monde de carnivores ». Elle résume parfaitement la nouvelle réalité géopolitique. Les grandes puissances ne font plus de sentiments. Elles défendent leurs intérêts avec une brutalité assumée.
L’Europe, longtemps protégée par le parapluie américain, se retrouve nue face à cette loi de la jungle. La Russie à l’Est, la Chine qui monte, le Moyen-Orient en ébullition, et désormais les États-Unis qui regardent ailleurs.
Dans ce contexte, rester naïf serait suicidaire. Se faire respecter passe par la capacité à se défendre seul, et à pouvoir riposter si nécessaire. C’est la seule langue que comprennent les carnivores.
Et maintenant ?
Le message français est clair : le temps des lamentations est fini. Place à l’action.
Les prochains mois seront décisifs. Les discussions sur le budget européen de défense, les choix d’équipements pour plusieurs armées, la mise en place éventuelle d’un fond européen dédié… Tout va se jouer maintenant.
L’Europe a une carte à jouer : elle dispose encore d’industries de pointe, d’ingénieurs brillants, et surtout d’une volonté politique qui, pour une fois, semble partagée par plusieurs capitales.
Mais le temps presse. Chaque année perdue creuse l’écart avec les grandes puissances. Et dans un monde de carnivores, les herbivores finissent toujours par disparaître.
La France a tiré la sonnette d’alarme. Reste à savoir si l’Europe entière va enfin se réveiller.








