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Espionnage pour Pékin : Pas de Pression Politique au Royaume-Uni

Un procès d’espionnage pour le compte de Pékin abandonné au Royaume-Uni… L’opposition criait au complot pour ménager la Chine. Un rapport parlementaire vient de trancher : pas de pression politique, mais un chaos administratif total. Que s’est-il vraiment passé derrière les portes de Westminster ?

Imaginez la scène : deux hommes accusés d’avoir transmis des informations sensibles à Pékin, un procès très attendu, et soudain… tout s’effondre. Pas d’explosion spectaculaire, juste un communiqué laconique du parquet annonçant l’abandon des poursuites. En quelques heures, l’opposition conservatrice hurle au scandale et accuse le tout nouveau gouvernement travailliste d’avoir sacrifié la sécurité nationale pour plaire à la Chine. L’histoire aurait pu rester un énième feuilleton politique. Elle vient pourtant de prendre un tournant inattendu.

Un rapport parlementaire met fin aux spéculations

Mercredi, la Commission pour la stratégie sur la sécurité nationale a rendu publiques ses conclusions. Le verdict est sans appel : aucune preuve d’une intervention coordonnée du gouvernement pour faire échouer le dossier. Le terme même de « pression » a été balayé. Ce qui a provoqué l’effondrement de l’accusation ? Des dysfonctionnements profonds, généralisés, presque ubuesques dans la coordination entre les services.

Le président de la commission, le député travailliste Matt Western, n’a pas mâché ses mots sur la BBC : « L’ensemble du processus semble assez chaotique. » Il a pourtant été catégorique : rien n’indique la moindre forme de complot.

Qui étaient les deux accusés ?

Christopher Cash et Christopher Berry. Deux profils qui, à première vue, n’ont rien de James Bond chinois. Le premier travaillait comme assistant parlementaire au cœur même de Westminster et avait accès à des cercles influents sur les questions de politique étrangère. Le second, ancien enseignant en Chine, entretenait des liens anciens avec le pays.

Ils étaient poursuivis pour avoir transmis des informations préjudiciables à la sécurité ou aux intérêts du Royaume-Uni, entre fin 2021 et 2023. L’accusation reposait sur l’Official Secrets Act, une loi draconienne datant de 1911 et renforcée plusieurs fois depuis.

Le nœud du problème : la qualification d’« ennemi »

Pour condamner quelqu’un sous ce texte, le parquet doit démontrer que les informations ont été transmises à un État « ennemi ». Or, depuis des années, la Chine n’est officiellement ni un allié ni un ennemi du Royaume-Uni. Le gouvernement parle d’un « défi systémique », d’une « menace » dans certains domaines, mais refuse la case « hostile state » qui déclencherait automatiquement des mesures plus sévères.

Le parquet s’est donc retrouvé coincé : sans validation claire et écrite de l’exécutif confirmant que la Chine représentait bien une menace justifiant cette qualification, il ne pouvait pas poursuivre. Et cette validation n’est jamais arrivée à temps.

« Les procureurs devaient démontrer que les accusés agissaient pour un “ennemi” et que la Chine était une menace pour la sécurité nationale, une qualification que le parquet a dit ne pas avoir obtenu de l’administration. »

Un enchaînement de ratés à tous les étages

Le rapport pointe du doigt plusieurs défaillances graves :

  • Absence de processus clairs pour faire remonter les blocages entre le gouvernement et le Crown Prosecution Service
  • Retards considérables dans l’identification du problème juridique central
  • Communication défaillante entre ministères et parquet
  • Aucune anticipation de la difficulté liée à la qualification d’« ennemi »

La commission estime que le parquet aurait pu signaler le problème bien plus tôt. De son côté, le gouvernement n’avait pas mis en place de circuit suffisamment rodé pour traiter ce type de dossiers sensibles impliquant la Chine.

Matt Western résume la situation sans détour : « Nous avons constaté des problèmes à tous les niveaux. » Ni héros ni bouc émissaire : juste une machine administrative grippée.

Le contexte politique explosif

L’affaire éclate au pire moment pour Keir Starmer. Arrivé au pouvoir en juillet 2024 après quatorze ans d’opposition, le Premier ministre travailliste tente de réchauffer les relations avec Pékin après des années de glaciation sous les gouvernements conservateurs successifs.

La stratégie est claire : maintenir le dialogue économique tout en restant ferme sur les questions de sécurité. Lundi encore, Starmer répétait vouloir « travailler et commercer » avec la Chine tout en « se protégeant » face à une « véritable menace ».

Cette ligne de crête est d’autant plus fragile que plusieurs scandales d’influence chinoise ont déjà secoué Westminster ces dernières années : dons suspects, parlementaires sous influence, tentatives d’infiltration… Chaque nouveau dossier devient immédiatement un enjeu de politique intérieure.

Pourquoi cette affaire révèle un malaise plus profond

Au-delà du cas particulier, le rapport met en lumière une question lancinante : le Royaume-Uni est-il vraiment équipé pour faire face à des menaces hybrides sophistiquées comme celles que représente la Chine ?

Des lois datées, des procédures mal adaptées, des hésitations politiques sur la qualification exacte de la menace : tout concourt à créer des zones grises dont profitent les services adverses. Le fiasco judiciaire de septembre n’est peut-être que la partie visible de l’iceberg.

La Chine, de son côté, n’a pas manqué de réagir. Pékin a dénoncé des « accusations dénuées de fondement », fidèle à sa ligne habituelle.

Et maintenant ?

Le gouvernement a promis de tirer les leçons du rapport. Des procédures plus claires, des circuits de décision accélérés, une meilleure coordination : les annonces ne manquent pas. Reste à voir si elles seront suivies d’effets concrets.

Pour Christopher Cash et Christopher Berry, l’épilogue est amer : ils échappent à un procès, mais leur réputation est durablement entachée. Quant à la sécurité nationale britannique, elle sort de cette séquence avec plus de questions que de réponses.

Une chose est sûre : dans les relations avec Pékin, le Royaume-Uni marche toujours sur des œufs. Le rapport parlementaire a peut-être clos le chapitre de la « pression politique ». Il ouvre en revanche celui, bien plus vaste, de l’adaptation d’un État démocratique à une menace qu’il peine encore à nommer clairement.

Ce genre d’épisode montre à quel point la frontière entre realpolitik et compromission peut devenir floue quand la sécurité nationale entre en collision avec des intérêts économiques colossaux. Le Royaume-Uni n’est pas le seul pays à tâtonner. Il est simplement le dernier à en faire l’expérience publiquement.

La page est tournée, mais le dossier sino-britannique, lui, reste grand ouvert.

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